Chatel, des missions !!!
L’été en pente douce, l’été... meurtrier ?
Un texte de Jacky Poulain
Enseignant spécialisé, maître G, RASED Sallanches (74)
Voir sur ce site les « Une saignée », titraient un certain nombre de médias au sujet des projets du ministère de l’Éducation Nationale, révélés après la « fuite » d’un courrier envoyé aux recteurs d’académie. S’il ne s’agissait que de cela !
Une saignée a des vertus supposées curatives, c’est une mesure thérapeutique dont on attend des effets positifs. (De la même manière qu’un mammouth « dégraissé » (cf. le sinistre Allègre) aurait gagné en vélocité, en aisance, en rentabilité ?)
Il sera(it) sans doute plus juste de parler d’une véritable hémorragie, délibérément suggérée par les ploutocrates(*) qui « haut-fonctionnent » dans les arrière-boutiques du ministère de l’E.N.
Pendant que Luc Chatel amuse la galerie de son incompétence (ou de son extrême compétence, c’est selon le point de vue, « il fait le boulot », comme on dit...), dans le même temps où des « groupes de travail » associant des représentants du ministre, les syndicats et les associations de professionnels de l’Éducation entretiennent l’illusion d’une « concertation », les technocrates(**) de ses services concoctent dans l’ombre un plan d’action « clés en main » destiné aux recteurs pour la mise en œuvre du non-remplacement d’un enseignant sur deux partant à la retraite et récupérer ainsi des milliers de postes.
Passons sur la novlangue de rigueur très « entrepreneuriale », très « management », illustration éclairante de la politique libérale mise en œuvre :
On y évoque le(s) « gisement(s) d’efficience », la « mobilisation de certaines marges identifiées », les « leviers académiques identifiés », les « viviers de remplacement », l’éventuelle « mise en extinction des psychologues scolaires »...
Grenelle ? Bercy ? Bercelle ? Greny ? Qui pilote donc ? Y a-t-il encore un ministre de l’Éducation en France ? Quel est d ailleurs le dernier digne de ce titre ?
Pour les 3 ans à venir, le pire se prépare : c’est à un véritable saccage de l’école publique qu’invite le ministère dans le « schéma d’emplois 2011/2013 adressé aux recteurs » le 5 mai 2010.
Pour le seul primaire, contentons-nous (!) de rappeler les leviers « identifiés » :
- « l’augmentation de la taille des classes », « le relèvement des seuils d’ouverture et de fermeture de classes »
- « le regroupement des structures » (entendre fermeture des petites écoles, des écoles de campagne)
- « la réduction du besoin de remplacement » (la formation continue déplacée sur le temps personnel, en dehors des temps de travail : mercredi, vacances...)
- « la fin de la scolarisation des enfants de deux ans » (à terme, suppression de la classe des petits en maternelle)
- « La sédentarisation des enseignants “hors la classe” » (enseignants spécialisés, RASED, intervenants spécifiques, conseillers pédagogiques...)
Rappelons encore que ce ministère (« hyperactif » !) avait déjà ces derniers temps :
- « supprimé 2 heures d’enseignement hebdomadaire dans le 1er degré pour tous les enfants
- alourdi et rigidifié, dans le même temps, les programmes
- surchargé la journée scolaire des élèves les plus fragiles (« l’aide personnalisée »)
- saupoudré des aides ponctuelles et à la carte (« stages » pendant les vacances...)
- démantelé largement les RASED (suppression de 3000 postes)
- externalisé l’échec scolaire vers la Santé ou le secteur privé (marché juteux !)
- intensifié et imposé les évaluations systématiques
- occulté et méprisé les avis, travaux et recherches des partenaires reconnus de l’école
- imposé le fichage des élèves (« base-élèves »)
- sanctionné lourdement les enseignants « résistants » à ces mesures »
(cf. un tract de Sud-Education, résumant les dégâts)
Pour ce qui concerne la « sédentarisation des enseignants “hors la classe” » repérée par le ministère comme l’un des « leviers » les plus attractifs, un « indicateur LOLF » recense 52 000 emplois d’enseignants « hors la classe ». Or, les personnels et les fonctions visées sont intéressants, significatifs de la volonté du gouvernement de casser les aides internes à l’école : « Cela étant, le nombre d’enseignants “hors la classe” peut être limité à certaines catégories de personnel » :
- « Les enseignants chargés de la prévention et du traitement des difficultés scolaires (dont RASED ) : 12918,5 emplois »
- « les enseignants qui accueillent les primo-arrivants : 920,75 emplois »
- « Les enseignants affectés à la scolarisation des enfants malades ou handicapés, hors classe d’inclusion scolaire et classe d’adaptation : 4102 emplois »
- « les enseignants affectés à l’enseignement à l’extérieur des écoles : 1987,5 emplois »
- « les conseillers pédagogiques : 3618,5 emplois »
- « les personnels en situations diverses (mises à disposition, décharges syndicales) : 1783,5 emplois »
« Ces personnels représentent 25353,5 emplois à la rentrée 09 ». On remarquera au passage qu’on ne mégote pas avec les virgules, les 0,5 postes... Voilà donc repérée, désignée, la moitié de ce gisement exploitable. Car, en effet, un gisement n’existe que par son « exploitabilité ».
(Espérons que l’exploitation n’en soit pas confiée au privé, BP, par exemple ! Ne souriez pas, Bouygues construit et « gère » bien déjà quelques prisons...)
Par ailleurs, rien n’est dit sur l’autre moitié du gâteau, ces 25 000 autres emplois « hors la classe »... : ?
À partir de quoi, « plusieurs scénarios doivent être examinés » :
- « suppression des seuls maîtres G », « sédentarisation des maîtres E »
- « suppression des maîtres G et E »
- « un 3e scénario intègre, en plus du scénario précédent, la mise en extinction des psychologues scolaires »
Il est à noter que, concernant les piliers des RASED (maîtres E + maîtres G + psychologues scolaires), il n’est pas jugé opportun de procéder à quelque évaluation que ce soit de leur efficacité. Leur inefficacité semble aller de soi. Sort « épargné » aux conseillers pédagogiques » pour qui « il conviendra de procéder à un examen de leur activité et de leur “productivité” » (sic !).
Jamais les menaces n’ont été aussi claires et précises ; c’est même la première fois que la disparition de la psychologie scolaire est évoquée ! Beaucoup d’illustres anciens de la cause enfantine doivent se retourner ces jours-ci dans leur tombe...
On s’apprête donc à tondre ras, très ras, la laine sur le dos des moutons, à l’Éducation Nationale : l’école en sera-t-elle pour autant « habillée pour l’hiver » ? Rien n’est moins sûr !
Pour finir, quelques bonnes nouvelles, quand même : « L’intégration des élèves handicapés sera accompagnée de mesures d’allègement du nombre d’élèves dans la classe. Au primaire, en zone défavorisée, il n’y aura jamais plus de 20 écoliers par classe dès la rentrée. Plus de 3 000 postes seront créés. »(***).
C’est sans doute le dernier « texte » que je rédige en tant qu’« actif », la retraite se profilant pour moi à la fin de cette année scolaire...
Vous dire le mélange de soulagement et d’amertume serait sans doute de peu d’intérêt et perte de temps.
Mais cependant, vous faire partager le titre du 1er texte qu’il me restera à écrire, après-coup donc, objet d’une boutade avec une amie définitivement fâchée, elle, avec l’Éducation Nationale : « Cent rancunes... ».
Jacky Poulain
Le 06.06.2010
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Notes
(*) « J’appelle ploutocratie un état de société où la richesse est le nerf principal des choses. » (Renan)
(**) « ... car ces techniciens, que des députés n’empêchent plus de travailler, vous pouvez les appeler des technocrates » (Mauriac)
(***) La blague est d’un goût douteux, j’en conviens : évidemment, ce n’est pas en France, mais au Québec, qu’on vient de décider de cette mesure : réjouissons-nous pour eux ?
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