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Histoire de la scolarisation   Texte suivant

 

 
Un texte de Daniel Calin
 

Dans le cadre du présent ouvrage, il n’est pas question de proposer une histoire systématique de la scolarisation. Ce n’est ni dans ses limites, ni dans ses objectifs. Les lecteurs intéressés pourront trouver dans la bibliographie qui clôt ce chapitre de quoi creuser leur connaissance de l’histoire de l’éducation et de la scolarisation. Si l’on ne demande pas aux candidats aux concours de recrutement de professeurs des écoles de se montrer spécialistes en histoire de l’éducation, on attend cependant d’eux qu’ils disposent en ce domaine de repères suffisants pour être capables d’inscrire convenablement les institutions scolaires dans une perspective historique. Nombre de candidats sont loin du compte et professent à ce sujet des inepties catastrophiques pour eux. Ce sont ces quelques repères réfléchis dans l’histoire longue et complexe de l’école que nous allons tenter de proposer ici.

 

Aux racines de la scolarisation

Invention de la langue écrite, invention de l’école

Il faut d’abord préciser de quoi il est question ici. Il ne s’agit pas d’éducation, au sens général du terme. L’éducation est aussi ancienne que l’humanité(1). Elle s’est longtemps passée d’école. Selon l’UNICEF(2), en 2005, il restait dans le monde environ cent millions d’enfants non scolarisés. Cela ne signifie pas que ces enfants sont privés d’éducation, mais qu’ils sont éduqués selon des procédés traditionnels, comme tous les enfants du monde l’ont été pendant des dizaines de milliers d’années. C’est pourquoi nous avons intitulé ce chapitre « histoire de la scolarisation », et non « histoire de l’éducation »(3).

Il est bien question ici de scolarisation. Les premières questions que l’on peut poser aux historiens portent donc sur le moment de l’histoire humaine auquel on a commencé à envoyer certains enfants à l’école, et sur les raisons de cette introduction de l’éducation scolaire dans les modes traditionnels d’éducation. Ce qui pose la question des finalités de l’école. Nous y reviendrons plus largement dans un chapitre ultérieur. Nous nous contenterons ici de la réponse la plus évidente à ces questions, dont nous proposons de faire la définition même de l’école : une école est une institution qui a pour fonction spécifique d’initier ses élèves à la culture écrite, quelles que soient les particularités que de telles institutions aient pu présenter au fil de l’histoire. Dans un sens plus restreint, qui limite l’école à ce que nous appelons en France l’enseignement primaire(4) et la destine assez spécifiquement aux enfants, la fonction de l’école est de donner à ses élèves les instruments fondamentaux nécessaires pour accéder à la culture écrite, le savoir lire, écrire et compter.

L’école n’est donc pas le lieu « naturel » de l’éducation des enfants, mais une institution relativement récente dans l’histoire de l’humanité, strictement corrélée à l’invention de l’écriture. Si l’on nomme « écriture » une technique de transposition graphique méthodique de la langue, l’écriture semble être apparue pour la première fois dans le bassin mésopotamien, vers 3 300 avant J.-C., à Uruk, l’ancienne capitale du pays de Sumer(5), avant d’essaimer ou d’être réinventée ailleurs. Cette thèse d’une invention sumérienne de l’écriture, très largement répandue, est contestée par certains archéologues, qui plaident en faveur de l’antériorité de l’Égypte ancienne en ce domaine. Outre des problèmes techniques de datation, la controverse met surtout en jeu la distinction incertaine entre représentations graphiques et langue écrite. On a parfois fait des peintures rupestres de Lascaux, qui datent de 17 000 avant J.-C.(6), les premières formes d’écriture. On peut certes admettre que les peintures rupestres, comme toute autre forme de graphismes représentatifs, aient été une étape significative dans le processus qui a conduit vers l’invention de la langue écrite. Il y a cependant loin de la représentation graphique à l’idée d’une transposition méthodique de la langue parlée par des graphismes(7). Même à Sumer, cette « invention » a été en réalité fort progressive(8). Elle s’est étalée sur plusieurs siècles et ne prend vraiment consistance qu’au cours du troisième millénaire(9).

L’écriture des Sumériens a d’abord été pictographique et idéographique(10), comme probablement toutes les premières écritures, ce qui fait que la distinction entre représentations graphiques de diverses réalités et transposition graphique de la langue parlée reste toujours incertaine à ce stade. Dans les écritures de type idéographique, même quand une graphie a perdu toute valeur pictographique, elle renvoie toujours à une idée, et non à un son. Le rapport de telles écritures à la parole reste toujours complexe et incertain, comme le montre bien le fait que la langue écrite chinoise est commune à des locuteurs qui ne peuvent pas se comprendre oralement. On peut dire que ces écritures n’expriment pas la langue parlée, mais la « langue pensée », voire la pensée elle-même. De ce fait, elles sont potentiellement universelles, indépendantes de la langue parlée de leurs utilisateurs, dans la mesure toutefois où la pensée est indépendante de la parole. Question ancienne et complexe ! À l’inverse, les écritures syllabiques ou alphabétiques(11) sont par définition strictement corrélée à la langue parlée qu’elles transcrivent. Leurs graphies n’ont en elles-mêmes aucune valeur représentative, sinon comme transcriptions des sons de telle ou telle langue. La distinction entre écriture et « dessins » est là évidente, hormis pour les très jeunes enfants(12).

L’écriture sumérienne s’est assez rapidement simplifiée et abstraite pour devenir l’écriture cunéiforme que nous connaissons bien. C’est une écriture syllabique(13). Sous ses formes les plus anciennes, elle utilise les pictogrammes de mots simples, monosyllabiques pour représenter les syllabes des mots plus complexes, selon un processus également à l’œuvre dans les hiéroglyphes égyptiens. Jean Bottéro souligne le rôle joué ensuite par un aléa historique dans l’évolution de l’écriture cunéiforme : les Sumériens ont été vaincus par des peuples sémitiques qui ont repris à leur compte l’écriture cunéiforme, en l’appliquant à leurs propres langues, totalement différentes, si bien que les significations linguistiques originaires des signes syllabiques se sont perdues. Cela a conduit à un système syllabique abstrait, épuré de toute signification autre que phonétique, ce qui a facilité en retour au fil du temps la simplification et la systématisation des signes syllabiques par élimination des traces de leurs origines pictographiques(14). Il est probable que cette évolution des écritures mésopotamiennes vers des écritures syllabiques pures a constitué une étape indispensable à l’invention ultérieure de l’écriture alphabétique, qui sera effectuée plus tard par les Phéniciens à partir de l’écriture mésopotamienne, invention que l’on peut situer entre 1 300 et 1 000 avant J.-C. C’est un alphabet uniquement consonantique, les voyelles sont élidées. L’alphabet phénicien a donné naissance à l’alphabet araméen, dont dérivent nombre d’alphabets, en particulier les alphabets hébraïque(15) et arabe(16). L’alphabet phénicien donnera naissance à l’alphabet grec(17), lequel donnera naissance à notre alphabet latin(18) par le biais de l’alphabet étrusque(19), mais aussi, plus directement, à l’alphabet cyrillique. C’est l’alphabet grec qui instaure le premier alphabet phonétique complet, avec représentation des voyelles, même si de fait l’écriture grecque élidait souvent les voyelles, trace tardive et résistante de la logique consonantique(20). Notre écriture procède donc en voie directe d’une histoire longue de plus de 5 000 ans, qui prend racine entre Tigre et Euphrate(21).

L’invention de l’écriture est en elle-même une invention « technique ». Elle est fort loin d’être la première. Il faut souligner ici que les inventions techniques précédentes n’avaient jamais eu d’influence notoire sur les pratiques éducatives. Les enfants étaient initiés aux nouvelles techniques par les voies ancestrales de l’apprentissage, qui passent par une participation directe aux activités des adultes, à travers laquelle les enfants et les jeunes gens s’approprient, par imitation et imprégnation progressive, les techniques utilisées par les plus expérimentés. Aucune institution éducative spécifique, donc, mais une immersion éducative dans la vie et les activités des adultes, comme cela se fait encore parfois en milieu agricole et artisanal en France même. À l’inverse, l’invention de l’écriture se traduit immédiatement par la création de lieux et de pratiques voués spécifiquement à cet « apprentissage » très particulier. On a en effet retrouvé, à Sumer et ailleurs en Mésopotamie, des tablettes d’argile étonnamment similaires aux cahiers d’écoliers d’aujourd’hui, qui permettent de nous faire une idée assez solide des méthodes utilisées il y a 5 000 ans pour initier les enfants d’alors à l’art de mettre sa langue et sa pensée en signes graphiques.

 

Entrer dans l’écrit : une pédagogie venue de loin

L’éducation aristocratique de la Grèce classique est très tôt une éducation collective(22), donnée exclusivement hors du domicile familial(23). L’enfant est conduit d’un lieu éducatif à l’autre par un esclave, le pédagogue(24), qui fréquente ces lieux à ses côtés. Le pédagogue n’enseigne pas. Il surveille, il garantit la bonne conduite de l’enfant, mais il fait aussi souvent office de répétiteur. L’éducation classique privilégie la gymnastique et la musique. L’importance accordée à l’origine à l’enseignement musical est liée au rôle fondateur des poètes dans la culture grecque, Homère en tête. Cette place privilégiée de l’enseignement musical régressera assez vite, mais la valorisation de l’éducation physique perdurera durant toute l’Antiquité. Le maître de gymnastique, ou « pédotribe », est un personnage respecté. Au contraire, le maître d’école, ou « grammatiste », est au départ peu considéré et mal payé. La gymnastique est enseignée dans les gymnases et les palestres, bâtiments souvent imposants, qui ne sont ni les uns ni les autres à seul usage d’enseignement. L’enseignement scolaire n’est pas donné dans des bâtiments spécifiques, mais dans diverses salles disponibles, sans autre matériel que des sièges rudimentaires.

Cet enseignement aristocratique va très tôt s’étendre progressivement à d’autres couches de la population des cités grecques, dès les VIème et Vème siècles avant J.-C. Dès la période hellénistique, l’éducation collective touche pratiquement tous les citoyens, voire une partie des esclaves, en charge de fonctions qui exigent la maîtrise de la culture écrite. Les cités y prennent une part de plus en plus active, en la réglementant et en la finançant. Financements des cités et fondations privées assurent souvent un enseignement gratuit aux citoyens pauvres. L’éducation collective devient ainsi, jusqu’à la fin de la période antique, le ciment culturel essentiel du monde gréco-romain. Cette popularisation entraîne une modification progressive des équilibres entre les trois domaines d’enseignement au profit de l’enseignement des lettres. L’éducation antique gardera toutefois de son origine aristo­cratique un caractère essentiellement « désintéressé », peu soumis à des impératifs pragmatiques directs, professionnels ou économiques. Aujourd’hui encore, dans les pays latins, nous gardons fortement la trace de cette volonté de conserver aux systèmes éducatifs des fonctions culturelles générales, et par conséquent de refuser de les soumettre trop directement à des impératifs économiques et professionnels.

Nous connaissons de longue date les méthodes utilisées pour enseigner la lecture et l’écriture dans la Grèce antique, puis dans la Rome ancienne, par les multiples témoignages que nous ont laissés les auteurs anciens à ce sujet(25). Souvenirs personnels constamment désagréables, pour ne pas dire cuisants. D’abord parce que les maîtres en charge de ces apprentissages maniaient volontiers la trique. Ensuite et surtout du fait de la méthode utilisée. Nous savons maintenant que cette méthode gréco-romaine vient en droite ligne des méthodes utilisées en Mésopotamie dès les débuts de la culture écrite(26). Comme le voudraient encore certains de nos contemporains(27), cette méthode antique va rigoureusement du simple au complexe. Elle fonctionne exclusivement par répétitions collectives psalmodiées. Elle commence par un apprentissage systématique des signes écrits, syllabiques en Mésopotamie, alphabétiques dans le monde gréco-romain. Ce premier apprentissage est suivi dans le monde gréco-romain par un apprentissage systématique de toutes les combinaisons syllabiques possibles. Ensuite vient l’apprentissage systématique, par ordre alphabétique, de tous les mots, isolément, d’abord tous les mots d’une syllabe, puis tous les mots de deux syllabes, et ainsi de suite. Dans un dernier temps seulement, les élèves apprenaient des textes, toujours selon la même méthode joignant la lecture collective à voix haute et l’apprentissage par cœur des textes à psalmodier ensuite collectivement. À ce rythme, il fallait aux écoliers au moins quatre années pour commencer à parvenir à ânonner des textes. Aucun appel n’était fait à l’intelligence des élèves, à la réflexion sur le sens des textes – tardivement – lus. On ne peut que faire le lien entre la rigidité bornée de la méthode et la violence des moyens de coercition utilisés : la violence pédagogique est par essence proportionnelle à la stupidité des méthodes d’enseignement. On comprend pourquoi les lettrés de l’Antiquité conservaient des leçons de leurs premiers maîtres des souvenirs unanimement désagréables.

Notons que ces méthodes subsistent pour une bonne part de nos jours dans nombre de pays. Cela reste l’essentiel de la méthode pédagogique des écoles coraniques, par exemple. Avant de redevenir la nôtre ?

 

De la langue écrite à la culture écrite(28)

Dès les origines de l’écriture, les scribes d’Uruk ont établi des listes de signes, classés selon des logiques diverses, souvent difficilement compréhensibles aujourd’hui, en particulier durant les premiers siècles de cette culture écrite. Bottéro comme Goody y voient la naissance d’un nouveau type de pensée, qui utilise la mise à distance des mots par l’écrit pour tenter d’explorer l’ordre du monde à travers l’ordre des mots. C’est ce que l’on appelle les « listes lexicales », qui resteront la base de l’enseignement de l’écriture et des langues pendant toute l’histoire du cunéiforme, et bien au-delà. Bottéro voit dans cette pensée par listes le chaînon manquant entre les modes de pensée des cultures orales et la rationalité philosophique des Grecs anciens.

Ces listes de mots témoignent d’abord du travail d’isolement des mots les uns des autres. Les adultes lettrés ont du mal à comprendre à quel point la notion même de mot est abstraite, tant nous avons appris à nous convaincre que les mots sont premiers, sont les éléments de la langue. Pourtant, les Grecs encore écrivaient en général sans séparer les mots. Pourtant, les jeunes enfants parlent d’abord, on le sait, par « mots-phrases ». On interprète ordinairement cela en imaginant qu’ils utilisent des mots comme phrases, comme « pipi ! » pour « j’ai envie de faire pipi ». Mais cela vaut également dans l’autre sens, des expressions stéréotypées étant utilisées exactement comme des mots simples, ce qui se traduit par la difficulté de l’enfant par la suite de décliner ces phrases stéréotypées pour tenir compte, par exemple, des variations de sujet ou de temps. Les adultes eux-mêmes, en voyage en pays étranger, adoptent peu ou prou la méthode « Berlitz », qui privilégie des phrases toutes faites afin de parvenir le plus « économiquement » possible à des communications basiques fonctionnelles. Et tous les pédagogues expérimentés savent à quel point nombre d’enfants, même dotés de bonnes capacités orales, ont le plus grand mal à faire ce travail d’abstraction des mots du flux de la langue orale. Une part non négligeable de ce découpage des phrases en mots est d’ailleurs de nature conventionnelle. Ou renvoie à une analyse très abstraite de la langue, comme, typiquement, le « ne ... pas » en français, sur lequel butent tant d’enfants, même à l’oral.

Isoler les mots, c’est aussi isoler les idées qu’ils représentent. C’est abstraire la notion ou le concept de la pensée complexe et mouvante à laquelle ils sont ordinairement tissés. Les listes de mots témoignent d’abord de ce travail d’abstraction de ce que nous pensons trop vite comme les matériaux de la parole. Pour penser ses mots, il faut d’abord les extraire du chant qu’est toujours au fond la parole. Le mot isolé est dépoétisé. Il peut commencer à révéler l’idée qu’il porte, à devenir une idée. La mise en liste des mots ainsi isolés ouvre sur d’autres ordonnancements entre les mots que ceux que commandent les mélopées de la parole, dans lesquelles les exigences du phrasé l’emportent sur le sens. Les listes peuvent se parcourir en tous sens, se juxtaposer, s’ordonner en tableau. En ordonnant les mots dans l’espace, elle les délivre de la temporalité contrainte de la parole. Elle donne du « jeu » à celui qui les parcourt. Nous pouvons aller et venir dans l’espace, alors que nous sommes emportés par le temps. Ordonner les mots selon l’espace, c’est se donner prise sur eux. C’est pouvoir les penser et pouvoir réfléchir à leurs liens de sens. Comme l’ont bien montré Goody et Bottéro, c’est pouvoir passer d’une pensée orale dominée par les récits temporalisés, comme on les retrouve encore dans la mythologie grecque et dans une part des écrits de Platon, à une pensée qui s’ouvre à la théorisation, c’est-à-dire à une organisation en système dans laquelle les liens constitutifs du discours ne sont plus de l’ordre du temps mais de l’ordre des idées, lesquelles sont au cœur de la philosophie de Platon, et de la « logique » qui lie une idée à l’autre, dont les syllogismes d’Aristote sont la première grande formalisation.

Il faudrait ajouter à ces remarques élémentaires un ensemble complexe d’analyses des transformations imposées par le passage de l’oral à l’écrit. La première remarque, déterminante nous semble-t-il du point de vue de ses implications pédagogiques, est que la parole s’appuie toujours sur le corps comme le dialogue ordinaire est toujours un corps à corps. Passer à l’écrit, en lecture comme en écriture, c’est, sinon éliminer le corps, du moins le réduire au rôle d’outil technique. À l’écrit, le corps propre doit se faire silencieux, et le corps de l’autre disparaît. L’écrit impose une désincarnation de la langue. La seconde remarque touche à la nature même de la communication. Parler, c’est dialoguer, interagir corporellement et linguistiquement avec l’autre. « Parler tout seul » signe la folie. Or, dans la communication écrite, en lecture comme en écriture, on est seul. Le plus souvent, d’ailleurs, on ne connaît pas cet autre avec lequel on entre pourtant en communication. L’auteur ne connaît généralement pas ses lecteurs, et ne les connaîtra jamais pour la plupart, tout comme le lecteur, réciproquement, ne croise que rarement l’auteur des textes sur lesquels il se penche. Auteurs et lecteurs, souvent, se croisent même par-delà la mort. Ainsi, l’idée même que l’écrit instaure une communication, non seulement ne va pas de soi, mais prend à contre-pied toutes les représentations ordinaires de la communication, même si nos moyens modernes de télécommunications nous ont mieux familiarisé avec ces formes étranges de communication en absence. On voit, avec ces quelques remarques, à quel point le passage de la langue orale à la langue écrite est autre chose, dans ses effets intellectuels et culturels, que le seul ajout du code écrit au code oral(29). C’est un passage culturel, voire un saut anthropologique(30). Passer de l’oral à l’écrit, c’est accéder à un nouveau mode de pensée, c’est accéder à un nouveau mode de communication, c’est finalement, très fondamentalement, accéder à une nouvelle et étrange façon de vivre ensemble, au-delà de toutes les distances, spatiales, temporelles et même, par le biais des traductions, culturelles. Seuls des lettrés pouvaient s’abstraire du monde des tribus pour ouvrir, lentement, difficilement, à l’universalité de l’humanité. Aider un enfant à entrer dans l’écrit, c’est l’aider à changer radicalement son rapport au monde. C’est une entreprise complexe, difficile, de longue haleine, aux résultats toujours inachevés et incertains.

 

La scolarisation de masse : un mouvement lent venu du Nord

Nous allons maintenant opérer un saut historique considérable, puisque nous n’allons pas évoquer ici le millénaire qu’occupe la période médiévale. Non qu’il ne s’y passe rien, bien sûr, même du point de vue de la scolarisation. Mais, de ce point de vue, il ne s’y produit en tous cas pas de novation fondamentale. Malgré les réticences des médiévistes, cette période est avant tout marquée par un extraordinaire effondrement de la culture écrite. À l’apogée de l’empire Romain, on peut estimer que 10 % de la population des cités était alphabétisée. Aux heures les plus sombres du Moyen-Âge, la culture écrite est au bord de la disparition en Europe de l’Ouest, réfugiée dans quelques villes et quelques couvents. Charlemagne, qui n’a certes pas inventé l’école, mais qui a tenté, en vain, de la reconstruire en Occident à des fins administratives, était lui-même analphabète, comme la quasi totalité des aristocrates de l’époque, tout comme une bonne partie du clergé. C’est plus tard, au temps des cathédrales(31), que l’Occident va vraiment commencer à se pacifier et à se reconstruire, mais l’alphabétisation mettra encore plusieurs siècles à simplement retrouver le niveau qu’elle avait atteint et conservé durant plusieurs siècles dans l’empire Romain.

 

La Renaissance

La Renaissance, à certains égards, reprend et prolonge les mouvements de reconstruction culturelle des périodes médiévales positives. On peut y voir une reconquête de la culture écrite par les élites sociales, en particulier urbaines, entamées auparavant. L’humanisme renaissant s’est défini lui-même comme une réappropriation de la culture antique. Mais ce mouvement va déboucher rapidement sur autre chose, qui déborde cette logique de reconstruction. C’est le protestantisme luthérien(32) qui constitue le moteur de cette innovation. La volonté luthérienne de court-circuiter les hiérarchies ecclésiales, accusées à juste titre de corruption, qui s’interposaient entre le croyant et dieu se traduit logiquement par la volonté de faire accéder directement le croyant aux textes sacrés dans lesquels s’est inscrite la parole divine. La pratique religieuse essentielle se déplace, de la messe collective où résonne le sermon du prêtre, à la table familiale où le père de famille fait des lectures quotidiennes de la Bible. Le luthéranisme mêle indissociablement une logique renaissante de retour au livre et une logique religieuse de rébellion contre la Rome de toutes les corruptions, il fait de la première l’arme essentielle de la seconde.

Cela implique une extension de l’alphabétisation, sinon à tous les croyants, du moins à tous les pères de famille, donc à tous les hommes. L’imprimerie, réinventée(33) par Gutenberg à Strasbourg vers 1440, donne aux protestants l’instrument technique indispensable de leur projet éducatif(34). Dès la seconde moitié du XVIème siècle, l’Europe protestante, donc l’Europe du Nord, voit se développer un mouvement d’alphabétisation de masse, dans les villes d’abord, mais qui s’étend progressivement aux campagnes. En France, les zones d’implantation protestante, essentiellement urbaines et très dispersées, voient apparaître un mouvement similaire. La Contre-Réforme catholique prend consistance dans les années 1560. Elle ne met évidemment pas en cause la nécessité d’une médiation ecclésiale entre le croyant et les textes sacrés, mais elle initie cependant un combat pour reconquérir les esprits ou du moins les conserver. Cette concurrence culturelle entre protestantisme et catholicisme se traduit par le développement d’un nouveau type d’institution éducative, les collèges, qui proposeront progressivement une formation intellectuelle complète, des petites classes aux classes supérieures.

Des institutions d’enseignement nommées « collèges » sont apparus dès le XIIème siècle. Ces collèges, généralement des fondations pieuses, sont alors des établissements complémentaires des Universités, chargés d’héberger les étudiants, en particulier ceux des Facultés des Arts(35). Ces collèges assureront rapidement un enseignement complémentaire, qui prendra de plus en plus d’importance, jusqu’à absorber l’essentiel des enseignements des Facultés des Arts au cours du XVème siècle. Comme établissement d’enseignement complet et autonome, le collège apparaît plus tard, en rompant les liens de ces collèges médiévaux avec les Universités et en intégrant l’enseignement élémentaire sous la forme de « classes de grammaire » dans lesquelles on peut entrer dès six ans. Ces collèges de second type sont d’abord une invention protestante(36). Ils prendront généralement le nom de « gymnase » en pays luthérien. Du côté catholique, les collèges se multiplient dès le milieu du XVIème siècle sous l’impulsion des municipalités le plus souvent. L’ordre des Jésuites(37) devient rapidement le symbole et le fer de lance du développement des collèges. Les Jésuites ouvrent leur premier collège à Messine en 1548. Le Collège romain est fondé en 1550, pour assurer la formation des professeurs. L’organisation des études et les méthodes pédagogiques y seront mises au point, pour être ensuite rigoureusement imposées dans tous les collèges de l’ordre(38). En 1579, l’ordre compte déjà 144 établissements, 245 en 1600.

S’ils sont assez vite implantés dans tout le monde catholique, les collèges sont cependant développés prioritairement dans les zones de contact avec le protestantisme. En France, ils se développent d’abord et surtout au nord et à l’est, mais aussi, de façon plus dispersée, dans les anciennes places-fortes protestantes, comme à Toulouse. En France, cette subordination du développement de l’enseignement à la lutte contre le protestantisme pèsera longtemps sur la géographie de l’alphabétisation, qui verra schématiquement s’opposer, au moins jusqu’aux lois Ferry, une France du nord et du nord-est précocement alphabétisée et une France du sud et de l’ouest très à la traîne en ce domaine, sauf ponctuellement. En Europe, cela se traduira par un net retard des pays latins, dans lesquels, le catholicisme n’ayant jamais été sérieusement menacé, le développement de l’enseignement restera longtemps perçu comme une menace pour l’ordre établi, tant religieux que politique. À l’inverse, dans la Pologne catholique, pourtant de très loin moins urbanisée que les pays latins, le côtoiement du protestantisme germanique induit très tôt une floraison de collèges, de Jésuites en particulier : plus d’une centaine à la fin du XVIème siècle.

La fréquentation des collèges impose généralement un rude internat, avec des sorties chez les parents extrêmement rares et des vacances très réduites. Sauf exceptions(39), l’enseignement est donné exclusivement en latin, aussi bien en pays protestant qu’en pays catholique, y compris dans les petites classes. Dans les collèges de Jésuites, c’est toute la vie au collège qui doit se dérouler en latin, tout usage, même entre collégiens, de la langue « vulgaire » est sévèrement réprimée. Les plans d’études font la part belle aux lettres gréco-latines, soigneusement épurées de tout ce qui n’est pas conforme à la morale et à la religion, tant chez les catholiques que chez les protestants. Ces programmes accordent toutefois une place, certes réduite, aux autres matières, histoire, géographie, mathématiques, physique, vues de plus essentiellement à travers des auteurs anciens. Les horaires d’enseignement et d’études sont considérables, souvent près d’une quinzaine d’heures par jour, tous les jours. Les Jésuites font figure de novateurs en instaurant une journée hebdomadaire de repos ! Les collèges sont tournés essentiellement vers l’éducation morale et religieuse, le souci d’une formation intellectuelle semble secondaire, sinon absent. La qualité de la formation intellectuelle donnée par les collèges est d’ailleurs pour le moins relative, y compris aux yeux des meilleurs de leurs anciens élèves. La méthode d’enseignement est strictement livresque, livres limités qui plus est aux libri locurum, recueils de citations et de proverbes, ressassés et « disputés » selon les habitudes de la scolastique médiévale, ce qui fait dire à Montaigne que les jeunes à la sortie du collège ne sont que « des ânes chargés de livres »(40). La multiplication des examens permet de cultiver une émulation permanente. Tous les auteurs de l’époque éduqués dans les collèges témoignent d’un usage abondant, voire sadique, des châtiments corporels. Les Jésuites, là encore, innovent en préférant les discours moralisateurs aux violences physiques, même si ces liens quotidiens entre maîtres et élèves prendront souvent des formes retorses, sinon perverses. Une des caractéristiques du siècle est donc un décalage extraordinaire entre les réflexions ou les utopies pédagogiques de quelques personnalités intellectuelles(41) et des pratiques restées proches des ratiocinations de la scolastique médiévale et des violences des méthodes antiques.

L’enseignement élémentaire hors collèges, tourné vers les milieux populaires, reste mal connu. Au XVIème siècle, il semble très peu développé, surtout en pays catholique. Dans la lignée des pratiques médiévales, il est donné dans des écoles paroissiales ou presbytérales, par les prêtres eux-mêmes ou leurs vicaires, essentiellement en vue de recruter leurs successeurs ou de former leurs auxiliaires. Toutefois, dans les villes franches, les édiles ont le pouvoir de nommer des maîtres d’école, mais s’ils semblent rarement le faire. Lors des États généraux souvent convoqués lors des guerres de religion, les représentants du tiers état et même parfois de la noblesse demanderont régulièrement le développement d’une instruction populaire gratuite, voire obligatoire, sans que ces déclarations d’intention soient suivies d’effets notoires. À la fin du XVIème siècle, l’enseignement élémentaire reste largement le fait des collèges et ne touche que la frange la plus aisée de la population.

 

Les XVIIème et XVIIIème siècles

Au fil des XVIIème et XVIIIème siècles, les collèges ne cesseront de se multiplier, touchant une partie de plus en plus importante de la population. Même les petites gens des villes, artisans et commerçants, ainsi que certains cultivateurs aisés, y enverront leurs enfants, au moins quelques années, pour y recevoir un enseignement élémentaire de qualité, ainsi peut-être qu’un minimum de vernis culturel. Malgré les critiques montantes à l’encontre d’une éducation aussi radicalement coupée du monde, les pratiques de la plupart des collèges évoluent peu. Enseignement en latin et étude des lettres antiques restent prédominants, ainsi que l’enfermement en internat, la lourdeur des horaires et la brutalité de la discipline. Toutefois, l’externat se développe, les Jésuites assurant même la gratuité de l’externat à partir de 1719, ce qui leur assure un large succès - en même temps que la montée des contestations de leur emprise sur la jeunesse et les esprits. D’autres congrégations développent cependant une offre d’enseignement nettement modernisée, en particulier les Oratoriens(42). Dans leurs collèges(43), si le latin est encore largement étudié, c’est comme une langue morte, explications et commentaires se donnant en français. Le français est lui-même l’objet d’un enseignement systématique, novation considérable, que les Jésuites eux-mêmes suivront prudemment, alors même que l’usage de la langue française dans les traités et les actes officiels est une obligation depuis l’ordonnance de Villers-Coteret promulguée par François ler en 1539 ! De même, les Oratoriens développent l’enseignement de disciplines « modernes » comme l’histoire, la géographie, les mathématiques et les sciences. L’expulsion des Jésuites en 1762 portent les Oratoriens au sommet de leur puissance : la plupart des collèges des Jésuites leur sont confiés. Les écoles militaires provinciales créées en 1776, essentiellement en direction de la noblesse pauvre, inaugurent l’abandon du latin.

L’enseignement élémentaire populaire, toujours beaucoup moins documenté, semble connaître lui aussi un essor continu au fil des XVIIème et XVIIIème siècle, à travers le développement de ce que l’on nomme généralement les petites écoles. Écoles paroissiales comme écoles communales se multiplient. La Congrégation des Frères des Écoles chrétiennes, fondée en 1683 par Jean-Baptiste de La Salle, joue un rôle actif dans le développement d’un enseignement populaire gratuit et autant que possible de qualité. Les Frères des Écoles chrétiennes, ou Lasalliens, parfois nommés « frères ignorantins » par leurs détracteurs, constituent une congrégation laïque et non un ordre religieux à proprement parler. Ils sont entièrement voués à l’instruction et à l’éducation des enfants des milieux populaires. De recrutement populaire, Jean-Baptiste de La Salle s’est efforcé de leur assurer une bonne formation spirituelle et pédagogique, dans des « séminaires de maîtres d’école » qui anticipent sur les futures écoles normales d’instituteurs(44). L’enseignement y est donné exclusivement en français. Le latin n’est pas enseigné. Les méthodes utilisées, assez souples, font une place à l’observation directe, y compris hors les murs. L’enseignement systématique de la langue française est complété par celui des « matières modernes ». Du fait de l’irrégularité de la fréquentation et de la variété des âges, l’enseignement dans les petites écoles est souvent très individualisé. Les Lasalliens adoptent eux la « méthode simultanée », dans laquelle l’enseignement est dispensé en même temps à des groupes d’élèves de même niveau(45). À la veille de la Révolution, les Lasalliens scolarisent 30 000 élèves dans 114 écoles(46).

Il est difficile d’estimer la part de la population touchée alors par le développement de ces diverses formes d’enseignement élémentaire, sinon par des voies indirectes. Ainsi, une étude sur un échantillon assez large pour pouvoir être considéré comme représentatif de la population française montre que la proportion des signatures des actes de mariage passe de 21 % en 1686 à 37 % en 1786(47). Les taux sont très variables selon le sexe et les régions. Les écarts entre hommes et femmes sont partout considérables. Dans le nord et le nord-est, comme dans des grandes villes comme Paris et Lyon, environ 80 % des hommes sont suffisamment alphabétisés pour signer de leur nom. Cela signifie qu’à cette époque, dans certaines régions, même les campagnes sont largement alphabétisées, du moins pour les hommes. La géographie de la France révolutionnaire suivra de près la géographie de la France alphabétisée.

 

L’école pour tous : de la Révolution à Jules Ferry

De la Révolution à l’Empire

La période révolutionnaire est trop agitée et trop brève pour avoir produit de grandes réalisations dans le domaine de la scolarisation. Elle importe surtout par les ruptures qu’elle opère et les projets qu’elle dessine. Mais au présent, les troubles, les guerres et les destructions institutionnelles apportées par la Révolution, surtout pendant ses premières années, ont probablement fait baisser sérieusement la scolarisation effective, même si cela est très difficile à estimer.

Dans les cahiers de doléances, les questions d’enseignement n’occupent pas une place importante. Quand elles émergent, c’est surtout pour manifester un conflit à vif de longue date entre un clergé soucieux de préserver ou étendre ses prérogatives, et un tiers état attaché à l’extension des pouvoirs des autorités civiles, en particulier municipales. L’aspiration à un enseignement obligatoire et gratuit apparaît dans quelques cahiers, mais nettement moins souvent que les critiques de l’inutilité d’une extension déjà grande de l’enseignement primaire ! Le moins que l’on puisse dire est que ce qui deviendra bien plus tard la « question scolaire » n’est en rien un moteur de la Révolution. Plus encore que dans d’autres domaines, les tentatives révolutionnaires les plus avancées en ce domaine sont bien plus le résultat de l’emballement de la dynamique révolutionnaire que la traduction d’une aspiration populaire préexistante.

Il faut d’ailleurs rappeler ici que les philosophes des Lumières sont loin d’être dans l’ensemble favorable à la généralisation de l’enseignement, bien au contraire. On sait que Voltaire est radicalement opposé à l’alphabétisation des milieux populaires, paysans en particulier, dans laquelle il perçoit, non sans raison, une menace pour l’ordre social en place. Pour mesurer précisément ce qu’il pense nécessaire en matière d’enseignement, il a écrit : « on n’a besoin que d’une plume pour deux ou trois cent bras ». On sait moins que Rousseau défend des positions parfaitement similaires : « Le pauvre n’a pas besoin d’éducation ; celle de son état est forcée, il n’en saurait avoir d’autre ». Il faut aller vers des penseurs plus radicaux, comme Diderot, d’Alembert et plus encore Condorcet, pour voir soutenir de telles aspirations. Il faut cependant noter que certains hommes politiques marquants des dernières années de l’Ancien Régime, comme Turgot, étaient déjà favorables à la scolarisation de masse, pour des raisons purement pragmatiques touchant à la fois à la consolidation de l’ordre social et au développement économique.

 

De 1789 à la chute de Robespierre

La première phase de la période révolutionnaire, de 1789 à la chute de Robespierre en juillet 1794, constitue la Révolution proprement dite, la suite, de la réaction thermidorienne à la dictature bonapartiste, étant avant tout un mouvement contre-révolutionnaire. La Révolution ainsi définie renverse l’ordre social ancien, l’Ancien Régime, en cinq années, par un processus tourmenté et rapide de radicalisation. Dans le domaine de la scolarisation comme dans les autres, cette période est donc marquée essentiellement par la destruction généralisée des institutions scolaires anciennes.

Dès l’automne 1789, le monopole scolaire de l’Église est aboli et les pouvoirs de contrôle de l’enseignement sont attribués aux autorités civiles. La nationalisation des biens du clergé du 2 novembre 1789 exclut, pour un temps, les institutions d’enseignement, mais les prive de l’essentiel de leurs ressources. Même s’il est prévu que la Nation prenne le relais des financements assurés précédemment par l’Église, ce relais ne sera pas concrètement assuré durant la tourmente révolutionnaire. La constitution civile du clergé de juillet 1790 désorganise le clergé lui-même et par conséquent l’exercice de l’ensemble de ses fonctions, enseignement compris. La loi Le Chapelier de juin 1791, en abolissant les corporations, désorganise pour longtemps la formation professionnelle. Le décret du 18 août 1792 interdit les congrégations religieuses, dont certaines, nous l’avons vu, étaient les ossatures du système d’enseignement, en particulier secondaire. L’abolition des institutions de l’Ancien Régime s’accélère durant l’année 1793 : les biens des collèges sont mis en vente le 8 mars, les académies sont supprimées le 8 août, les écoles militaires le 9 septembre, les universités le 15 septembre. À la fin de l’année 1793, c’est donc l’ensemble du système scolaire de l’Ancien Régime qui est mis à bas.

Ces abolitions institutionnelles se doublent de projets novateurs. Aucun n’est réalisé, mais ils inspireront toute l’histoire ultérieure de notre système éducatif. La Constitution du 3 septembre 1791 proclame déjà, dans son titre premier : « Il sera créé et organisé une Instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes et dont les établissements seront distribués graduellement, dans un rapport combiné avec la division du royaume. »(48) Le premier plan de réalisation de cette instruction publique est présenté à la Constituante le 10 septembre 1791 par Talleyrand(49). Il prévoit trois degrés qui anticipent assez exactement sur notre organisation actuelles : les écoles de canton pour l’enseignement primaire, qui devraient seules être gratuites, les écoles de district pour l’enseignement secondaire et les écoles départementales pour l’enseignement supérieur. Aucune obligation scolaire n’est prévue, ni même la laïcité de l’enseignement. L’Assemblée législative abandonne les propositions de Talleyrand au profit d’un plan présenté par Condorcet(50) à l’Assemblée législative le 20 avril 1792. Condorcet représente le lien le plus direct entre le mouvement encyclopédiste et la Révolution. L’organisation qu’il propose est différente de celle de Talleyrand et restera sans suite, mais son plan comporte également la gratuité des études à tous les niveaux, la laïcité des établissements publics d’enseignement et l’égalité complète des sexes et des âges en matière d’instruction. En lien avec la volonté de « continuer l’instruction pendant toute la durée de la vie », il met au premier plan l’acquisition de « l’art de s’instruire par soi-même ». Le plan de Condorcet disparaît avec l’Assemblée législative.

Le 21 septembre 1792, la Convention, élue début septembre au suffrage universel(51), abolit la monarchie et proclame la République. La nouvelle Constitution, la Constitution de l’An I, est adoptée par la Convention le 24 juin 1793(52) et ratifiée ensuite par référendum. L’article 22 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen intégrée à la Constitution proclame : « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. » L’article 122 de la Constitution « (...) garantit à tous les Français (...) une instruction commune (...) ». Ces principes fort vagues sont concrétisés par un plan élaboré par Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, présenté par Robespierre lui-même à la Convention le 13 juillet 1793(53). Proche du plan de Condorcet pour les autres degrés d’enseignement, il s’en éloigne pour l’enseignement primaire, en particulier en imposant à ce degré l’obligation scolaire. Pour réaliser cette obligation, il impose un internat obligatoire pour tous les enfants sans exception, de 5 à 12 ans pour les garçons, 11 ans pour les filles. Le régime prévu dans ces maisons d’Éducation nationale est rigoureusement égalitaire, d’inspiration spartiate et fait une grande place... au travail manuel ! L’objectif essentiel n’est pas l’instruction mais l’éducation républicaine : Le Peletier de Saint-Fargeau propose d’« opérer une entière régénération, et, si je peux m’exprimer ainsi, de créer un nouveau peuple ». Amendé, voté le 13 août, abrogé deux mois plus tard(54), ce plan ne connaîtra pas un début d’application. Il marque la poussée extrême de l’égalitarisme républicain, comme il symbolise assez bien la dangerosité de cet extrémisme. Après diverses péripéties, un nouveau projet(55), plus modéré et plus réaliste, est finalement adopté le 19 décembre 1793. Il privilégie l’enseignement primaire et ne prévoit qu’un enseignement supérieur limité à l’apprentissage de la médecine et autres science utiles. Il maintient le principe de l’obligation scolaire pour l’enseignement élémentaire. Libéral, il adopte la liberté d’ouvrir des écoles. Il prévoit une rétribution publique des maîtres de l’enseignement obligatoire, dans les écoles privées comme dans les écoles publiques, anticipant ainsi sur le système actuel. Il connaît un début d’application : 7 000 écoles sont ouvertes, sur les 23 000 prévues.

Cette période agitée verra malgré tout la création de quelques institutions d’enseignement supérieur : le Muséum d’histoire naturelle succède en 1793 au Jardin du Roi, avec une mission d’enseignement scientifique, l’École de Mars est créée en 1794 pour remplacer les écoles militaires mais ne survivra pas à la réaction thermidorienne, la décision de créer l’École normale, qui deviendra l’École Normale Supérieure, est prise juste avant la chute de Robespierre.

 

La Convention thermidorienne

La Constitution de l’An III, adoptée le 22 août 1795, est nettement plus précise que les précédentes en ce qui concerne l’enseignement. Elle comporte un titre X intitulé « Instruction publique », dont Daunou(56) est le rédacteur, mais qui reprend largement des projets présentés par Lakanal(57) dès l’automne 1794. Le premier article sous ce titre, l’article 296, institue « des écoles primaires où les élèves apprennent à lire, à écrire, les éléments du calcul et ceux de la morale » et précise : « La République pourvoit aux frais de logement des instituteurs préposés à ces écoles. » L’article 297 institue « des écoles supérieures aux écoles primaires, et dont le nombre sera tel, qu’il y en ait au moins une pour deux départements. » Ce seront les écoles centrales de la loi Daunou d’octobre 1795. Privilégiées par Daunou, destinées à former une nouvelle élite républicaine, elles offriront un enseignement secondaire résolument moderne, avec une organisation et des méthodes pédagogiques très souples(58). Enfin l’article 298 instaure « un institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences. » Ce sera l’Institut de France(59), instauré également par la loi Daunou, qui regroupe les académies préexistantes, plus l’Académie des sciences morales et politiques créée à cette occasion. L’article 300 proclame la liberté « de former des établissements particuliers d’éducation et d’instruction, [ainsi] que des sociétés libres pour concourir aux progrès des sciences, des lettres et des arts. »

Pour ce qui est de l’enseignement primaire, le premier projet thermidorien, proposé par Lakanal, adopté en novembre 1794, reprend l’objectif montagnard de créer 24 000 écoles primaires, mais supprime l’obligation scolaire. La gratuité est momentanément conservée, mais sera elle aussi supprimée par la loi préparée par Daunou, adoptée le 25 octobre 1795. La rétribution des instituteurs par l’État est également abandonnée et mise à la charge des communes par cette même loi. La faiblesse du niveau d’enseignement dans les écoles primaires posera un problème aux écoles centrales, pour lesquelles leur préparation s’avérera vite très insuffisante. La législation Lakanal-Daunou restera en vigueur jusqu’en 1802. Les écoles primaires se développent durant cette période, bénéficiant de la relative accalmie politique. Les écoles privées occupent une place prépondérante dans ce développement.

 

La dictature bonapartiste

Dans le domaine de l’enseignement, les principales décisions de Bonaparte ne concernent pas l’enseignement primaire, mais les enseignements secondaires et supérieurs. La loi du 1er mai 1802(60) supprime les écoles centrales, suspectées non sans raisons d’être des foyers républicains, au profit des lycées d’État et des écoles secondaires municipales(61) ou privées. Contrairement aux collèges d’Ancien Régime, en principe, ces établissements ne comportent pas d’enseignement primaire. En réalité, des petites classes(62), bien sûr payantes, vont très vite se développer dans les établissements secondaires(63), peut-être pour permettre aux familles aisées de fuir ce que nous appellerions aujourd’hui la mixité sociale, mais aussi pour pallier les incontestables faiblesses de l’enseignement primaire de l’époque. Le fossé entre un enseignement primaire populaire médiocre et un enseignement primaire/secondaire élitiste, hérité de l’Ancien Régime, va ainsi se reconstituer « spontanément », hors de toute législation, et pour longtemps. Pour ce qui est de l’enseignement primaire, cette loi ne touche guère le cadre défini par la loi Daunou. Les lois de 1806 et 1808, qui organisent l’Université impériale, ne concernent pas l’enseignement primaire : les écoles primaires sont écartées du monopole étatique sur l’enseignement et les maîtres d’école n’ont aucune place dans la hiérarchie universitaire. Le décret de 1808 prévoyait toutefois la création de classes normales d’instituteurs dans les établissements secondaires, mais une seule école normale sera créée, en 1811 à Strasbourg, sous l’impulsion du préfet Lezay-Marnésia.

La politique impériale vis-à-vis des écoles primaires ne sera guère marquée que par les faveurs accordées aux Frères des Écoles chrétiennes. Elle est surtout dominée par le très faible intérêt accordé au développement de l’instruction populaire. La priorité est la formation d’une élite au service de l’État, surtout scientifique, technique et militaire, sous fort contrôle idéologique. Il faut attendre les derniers soubresauts du régime pour voir Bonaparte s’intéresser à l’enseignement mutuel(64), alors en plein essor en Angleterre. Un décret impérial du 27 avril 1815 crée à Paris une école destinée à expérimenter cette organisation pédagogique. Cette innovation revient à l’influence tardive sur l’empereur de la Société d’Encouragement pour l’industrie nationale, créée en 1801 par des industriels, qui donnera naissance à la veille de Waterloo à la Société pour l’Instruction élémentaire, appelée à jouer un rôle important par la suite.

À la fin de la période révolutionnaire et impériale, l’enseignement primaire populaire, globalement, ne s’est pas développé. Il ne s’est même pas vraiment transformé. Il reste soumis au bon vouloir des autorités municipales et religieuses. La formation des maîtres d’école est toujours laissée à l’abandon. Le mouvement d’alphabétisation de la population semble marquer le pas.

 

La généralisation progressive de l’enseignement primaire

L’enseignement mutuel connaît un essor foudroyant dès les premières années de la Restauration, sous l’impulsion de la Société pour l’Instruction élémentaire. Une école normale d’enseignement mutuel est créée à Paris. De 1815 à 1820 s’ouvrent 1 000 écoles mutuelles, qui accueillent 150 000 élèves. Aux mêmes dates, les Frères des Écoles chrétiennes ne scolarisent que 50 000 élèves. Catholiques et conservateurs critiquent vivement l’enseignement mutuel alors qu’il est soutenu par les libéraux, en particulier par le ministre Élie Decazes alors très influent sur Louis XVIII. L’arrivée aux pouvoirs des Ultras, à partir de 1820, renforce l’emprise du clergé et conduit à un premier affaiblissement de l’enseignement mutuel. De 1820 à 1828, la moitié des écoles mutuelles disparaissent. À partir de 1828, avec le gouvernement modéré de Martignac, jusqu’aux premières années du règne de Louis-Philippe, l’enseignement mutuel va fleurir à nouveau et connaître son apogée : on comptera alors jusqu’à 2 000 écoles mutuelles. La loi Guizot de 1833 va entraîner son extinction progressive.

Un ministère de l’Instruction publique est créé en 1824, mais c’est seulement en 1828 avec le retour des libéraux au pouvoir que les fonctions de ministre de l’Instruction publique seront séparées des fonctions de ministre des Affaires ecclésiastiques. C’est à ce poste de ministre de l’Instruction publique que François Guizot(65) est appelé en 1832. Il conservera ce poste jusqu’en 1837. Guizot, monarchiste libéral, était issu d’une famille protestante. La loi sur l’instruction primaire qui porte son nom est adoptée le 28 juin 1833(66). Bien avant les lois Ferry, c’est la loi qui pose les bases de l’enseignement primaire en France. Son article 9 oblige toutes les communes, éventuellement « soit en se réunissant à une ou plusieurs communes voisines », à « entretenir au moins une école primaire élémentaire ». Les instituteurs doivent être logés et rémunérés par les communes. Le même article précise : « le ministre de l’instruction publique pourra, après avoir entendu le conseil municipal, autoriser, à titre d’écoles communales, des écoles plus particulièrement affectées à l’un des cultes reconnus par l’État. » On notera que les différents cultes sont ici mis sur le même plan. Dans la même veine libérale, l’article 2 précisait : « Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l’instruction religieuse. »(67) Les écoles privées, confessionnelles ou non, sont autorisées (article 4). Pour les élèves et leurs familles, l’enseignement primaire institué par Guizot n’est ni obligatoire, ni forcément gratuit. Guizot avait proposé que l’offre scolaire obligatoire instituée par sa loi soit étendue aux filles, mais cette proposition n’a pas été retenue par la Chambre.

L’article 10 de la loi impose également la création d’une école primaire supérieure à toutes les « communes chefs-lieux du département, et [à] celles dont la population excède six mille âmes ». L’article 11 oblige chaque département à entretenir une école normale primaire, « soit par lui-même, soit en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins », cette deuxième éventualité étant soumise à autorisation royale. Le développement des écoles normales va permettre d’améliorer la formation des instituteurs et par conséquent la qualité de l’enseignement primaire. La loi établit ainsi ce qui sera longtemps la filière de recrutement et de formation des instituteurs, issus des écoles primaires, passés ensuite par les écoles primaires supérieures avant d’entrer dans les écoles normales. Guizot crée aussi le corps des inspecteurs primaires en 1835. En 1837, il réglemente les salles d’asile, d’où dérivent nos écoles maternelles. Sous son influence, le nombre des écoles primaires passe de dix mille vers 1830 à vingt trois mille en 1848. Les salles d’asile se multiplient également.

La très éphémère révolution de 1848 adopte le 4 novembre 1848 une constitution(68) dont l’article 13 « garantit aux citoyens (...) l’enseignement primaire gratuit ». Le ministre de l’Instruction publique, Lazare Hippolyte Carnot, soumet à l’Assemblée le 30 juin 1848 un projet de loi qui anticipe totalement sur les lois Ferry, en prévoyant un enseignement élémentaire obligatoire pour les deux sexes, gratuit et laïc, tout en garantissant la liberté d’enseignement. Il prévoit également pour les instituteurs une formation gratuite de trois ans dans une école normale, avec en contrepartie une obligation d’enseigner pendant au moins dix ans, système qui sera longtemps en vigueur. Il propose une nette amélioration de leurs salaires. Il exhorte, déjà, les instituteurs « à dispenser un catéchisme républicain ».

L’effondrement de la révolution de 1848 met rapidement un terme à ce projet ambitieux. la loi Parieu, adoptée le 11 janvier 1850, autorise les congréganistes à enseigner sur simple présentation d’une lettre d’obédience. Elle instaure une étroite surveillance administrative des instituteurs, qui va déchaîner une vague de répression contre les instituteurs républicains, inaugurant ainsi probablement la violence de la question scolaire en France. Ces orientations réactionnaires sont confirmées et étendues peu après par la loi Falloux du 15 mars 1850, à laquelle Victor Hugo, alors député, s’est bruyamment opposé. La loi Falloux rétablit une prééminence de l’enseignement catholique dans le système éducatif français, alors disparue depuis la révolution de 1789. Elle élimine bien entendu la gratuité et la laïcité de l’enseignement primaire. Cependant, elle ne remet pas en cause les obligations imposées aux communes par la loi Guizot. Au contraire, elle les étend, en imposant aux communes de plus de 800 habitants d’ouvrir également une école primaire de filles. C’est un article de cette loi, l’article 17, dans son deuxième alinéa, qui instaure l’étrange habitude de dénommer « libres » les établissements confessionnels(69).

Dans les dernières années du Second Empire, le libéral de ministre de l’Instruction publique Victor Duruy fait adopter le 10 avril 1867 une loi qui étend aux communes de plus de 500 habitants l’obligation d’ouvrir une école primaire de filles et qui encourage la gratuité de l’enseignement, entre autres par la création de Caisses des écoles.

La Commune de Paris voit bien évidemment une relance des projets radicaux de développement de l’enseignement populaire. À la chute de la Commune, c’est... Jules Ferry, préfet de Paris, qui organise le retour à l’ordre ancien, en particulier en annulant les mesures de laïcisation ! Il faut donc attendre la consolidation de la IIIème République et l’arrivée au pouvoir des républicains pour voir s’instaurer en France les principes actuels de l’enseignement primaire. La loi Paul Bert du 9 août 1879 impose l’ouverture d’une École normale de garçons et d’une École normale de filles dans chaque département. La première loi Ferry, du 16 juin 1881, établit la gratuité absolue des écoles primaires publiques, des salles d’asile publiques(70) et des écoles normales primaires. La seconde loi Ferry, du 28 mars 1882(71), instaure l’enseignement primaire obligatoire pour les enfants des deux sexes, de 6 à 13 ans. Son article 1 laïcise le programme des écoles publiques : « l’instruction morale et civique » s’y substitue à « l’instruction morale et religieuse » de l’article 1 de la loi Guizot(72). La loi Goblet, du 30 octobre 1886, qui recadre toute l’organisation de l’enseignement primaire, laïcise le personnel enseignant des écoles publiques (article 17).

La législation de la IIIème République va permettre l’achèvement du mouvement d’alphabétisation de masse né au milieu du XVIème siècle dans l’Europe protestante. Au moment de l’adoption de ces grandes lois scolaires, certaines régions peuvent être considérées comme déjà entièrement alphabétisées, du moins pour ce qui est des hommes. Les lois Ferry vont permettre d’estomper progressivement les variations régionales encore très fortes à cette époque. Alors que l’alphabétisation des hommes est déjà très majoritairement répandue, les lois Ferry vont être plus déterminantes pour les filles, dont l’alphabétisation reste encore partout minoritaire et très faible dans certaines régions. Il faut cependant souligner que, dans certaines régions et certains milieux, l’obligation scolaire sera longtemps très mal vécue et s’imposera difficilement. L’absentéisme scolaire reste très important jusqu’à la veille de la première guerre mondiale et constitue longtemps la principale préoccupation des enseignants des écoles primaires. Tout au long de son histoire, l’alphabétisation a été plus impulsée par les élites éclairées, bourgeoises en particulier, que par des aspirations populaires. Même dans le mouvement ouvrier naissant, l’instruction populaire sera parfois plus perçue comme une menace d’embourgeoisement que comme un instrument essentiel de libération. Il faut attendre en réalité les dernières décennies du XXème siècle pour voir la quasi totalité des familles adhérer fortement à la scolarisation de leurs enfants.

 

Le XXème siècle : la lente ascension de l’enseignement secondaire et ses répercussions sur l’enseignement primaire

L’histoire de la construction de l’enseignement primaire peut être considérée comme close à l’aube du XXème siècle. Ferry s’était opposé à la gratuité de l’enseignement secondaire, et plus encore à sa généralisation. C’est la démocratisation de l’enseignement secondaire qui va constituer le moteur de l’évolution du système éducatif des années 1920 à nos jours. Nous ne nous étendrons guère sur cette histoire, hors de notre propos en elle-même, que pour noter ses répercussions sur l’enseignement primaire.

Le système scolaire de la Troisième République est tout sauf un système égalitaire et universel. Il est coupé en deux systèmes presque complètement étanches l’un à l’autre. Le premier, les écoles primaires, publiques ou privées, scolarise les enfants du peuple. Les meilleurs élèves de cette école du peuple peuvent recevoir une certaine forme d’enseignement secondaire, d’orientation moderniste, dans les écoles primaires supérieures(73) instaurées par la loi Guizot(74) et confirmées par la loi Goblet, avec un cycle d’études de quatre années débouchant sur le brevet général. Les élèves des écoles normales étaient issus exclusivement des écoles primaires supérieures. Ainsi, les enseignants des écoles du peuple étaient issus des écoles du peuple. C’était le débouché le plus élevé de ce système d’instruction publique populaire. Hors dérogations, il n’existe en 1918 aucune passerelle instituée entre les écoles primaires ou les écoles primaires supérieures et les établissements secondaires « nobles » que sont les lycées et les collèges municipaux, seuls admis à préparer au baccalauréat, la clef d’entrée dans les enseignements supérieurs.

Ce cloisonnement commence à être mis en cause seulement après la première guerre mondiale. Le prix terrible payé par les milieux populaires lors de cette guerre n’est certainement pas étranger à ce mouvement. Plus prosaïquement, le creux démographique des années de guerre, suivi ensuite d’une démographie atone, pose un problème de recrutement aux établissements secondaires, en particulier aux collèges municipaux, moins prestigieux que les lycées. Cela va induire, au départ hors de toute réglementation, une augmentation de la perméabilité entre les deux systèmes, par abaissement des exigences au niveau des entrées en sixième, mais aussi par le développement de collaborations entre certaines écoles primaires supérieures et certains collèges. Des décisions institutionnelles vont suivre. Le décret du 12 septembre 1925 ouvre une première brèche dans la séparation étanche entre instituteurs et professeurs(75) en décidant de confier les petites classes des lycées et collèges à des instituteurs au fur et à mesure des vacances de postes. Les classes du premier cycle des lycées et collèges deviennent gratuites en 1930. Cette gratuité de l’enseignement secondaire sera progressivement étendue au cours des années 1930. Ces décisions amènent à l’instauration officielle, en 1933, d’un examen d’entrée en sixième ouvert aux élèves des écoles primaires. Même si cette voie reste alors très rarement empruntée, il s’agit cependant là d’une nouvelle brèche significative dans la rigoureuse clôture antérieure entre les deux systèmes. Ces réformes entraînent une croissance rapide des effectifs des lycées et collèges, de 101 000 élèves en 1929 à 200 000 en 1939. Parallèlement, les effectifs des écoles primaires supérieures passent de 76 000 élèves à 105 000 et les effectifs des cours complémentaires de 61 600 à 124 400. Un arrêté de Jean Zay, du 11 avril 1938, impose un strict parallélisme entre les écoles primaires supérieures et le 1er cycle des lycées. Il peine à être respecté, mais il ouvre clairement la voie à la fusion entre les deux systèmes. Parallèlement à cet effritement de la séparation entre les deux systèmes scolaires et à cette première montée en puissance de l’enseignement secondaire, l’entre deux guerres voit la pacification et la consolidation de l’enseignement primaire : l’absentéisme se fait rare, les guerres scolaires s’apaisent, le pourcentage de reçus au certificat de fin d’études primaires augmente progressivement(76). Le 9 août 1936, la loi Jean Zay porte prolongation de la scolarité obligatoire à quatorze ans.

Le pétainisme ouvre évidemment une parenthèse furieusement réactionnaire : abolition de la laïcité du personnel enseignant, suppression des écoles normales, restauration de l’instruction religieuse, interdiction des syndicats enseignants, etc. Le 17 avril 1945, une ordonnance du général De Gaulle abroge toute la législation scolaire de Vichy. Toutefois, certaines mesures seront reprises, en particulier la transformation des écoles primaires supérieures en collèges modernes(77), sans langues anciennes, qui les intègre de fait à l’enseignement secondaire.

Les années 1945 à 1970 vont opérer la fusion entre l’école du peuple et l’école de la bourgeoisie, à travers une histoire extraordinairement confuse. Nous n’en retiendrons que les étapes marquantes. Le 8 novembre 1944, René Capitant, ministre de l’Éducation nationale, crée une commission ministérielle d’étude chargée d’élaborer un projet de réforme de l’enseignement, présidée d’abord par Paul Langevin, puis après sa mort, par Henri Wallon. Elle rend son rapport, resté dans l’histoire sous le nom de plan Langevin-Wallon(78), le 19 juin 1947. On peut considérer qu’il n’a depuis jamais cessé, par-delà de toutes les vicissitudes politique que notre pays a connues depuis lors, d’être peu ou prou la source de toutes les politiques éducatives : école unique, unification du secondaire, enseignement obligatoire de six à dix-huit ans, etc. L’ordonnance du 3 mars 1945 supprime les classes primaires des lycées et collèges, mais cette suppression ne sera réellement terminée qu’au début des années 1960. Le décret 6 janvier 1959 prolonge la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans (réforme Berthoin). En 1960, les cours complémentaires deviennent les collèges d’enseignement général (CEG). La réforme Fouchet du 3 août 1963 supprime les classes de fin d’études des écoles primaires : dès lors, tous les enfants entrent en 6ème vers 11 ou 12 ans, soit dans les collèges d’enseignement général issus des cours complémentaires, soit dans les collèges d’enseignement secondaire (CES) issus des écoles primaires supérieures, soit dans les sixièmes des lycées. La loi Haby du 11 juillet 1975(79) institue le collège unique, en regroupant les deux catégories de collèges de l’époque, en supprimant la plupart des filières internes à ces établissements, ainsi qu’en instituant en collèges distincts les classes de 6ème à 3ème des lycées.

On peut considérer la loi Haby comme symbolisant l’entrée dans l’époque contemporaine de notre système éducatif(80). L’enseignement primaire a perdu ses anciens prolongements, cours complémentaires et écoles primaires supérieures. Il a perdu ses deux années terminales, qui préparaient au certificat de fin d’études primaires, sa certification symbolique, longtemps très valorisée dans les milieux populaires. Sa fonction culturelle et institutionnelle a fondamentalement changé. Il n’est plus le viatique culturel proposé à l’ensemble de la population, mais une simple préparation à l’entrée dans l’enseignement secondaire. Le ministre de l’Éducation nationale Jospin va tirer les conséquences de cette transformation en supprimant la dernière survivance de l’histoire de l’enseignement populaire, les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices, par la loi du 10 juillet 1989(81), qui leur substitue les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, en charge de la formation professionnelle des enseignants du primaire comme du secondaire. L’année suivante, le décret du 1er août 1990 parachève cette évolution en alignant le niveau de recrutement et le niveau de rémunération des enseignants du primaire sur ceux de l’enseignement secondaire. Les instituteurs et institutrices deviennent les actuels « professeurs des écoles ». Si ces évolutions sont dans la logique de l’histoire longue, on peut regretter un changement d’appellation qui dénie toute spécificité au métier « instituant » des enseignants du primaire. Fort heureusement, dans la bouche des enfants, les enseignants du primaire, instituteurs, institutrices ou professeurs des écoles, restent les « maîtres » et les « maîtresses ».

Les implications de la profonde transformation des finalités de l’enseignement se font lentement et très confusément sentir. L’article 3 de la loi Haby assignait pourtant déjà assez clairement de nouveaux objectifs à l’enseignement primaire : « La formation primaire assure l’acquisition des instruments fondamentaux de la connaissance : expression orale et écrite, lecture, calcul ; elle suscite le développement de l’intelligence, de la sensibilité artistique, des aptitudes manuelles, physiques et sportives. Elle offre une initiation aux arts plastiques et musicaux. Elle assure conjointement avec la famille l’éducation morale et l’éducation civique. »(82) On voit que les objectifs de « connaissances » à proprement parler de la loi Ferry de 1882 ont disparu. Il n’est plus du tout question de littérature française, d’histoire, de géographie, de droit, d’économie politique, de sciences naturelles ni même de mathématiques, hors du seul calcul. L’accent est mis sur les « instruments fondamentaux » de la culture écrite, puis sur le développement de capacités très générales comme « le développement de l’intelligence, de la sensibilité artistique, des aptitudes manuelles, physiques et sportives », beaucoup plus générales encore que nos actuelles « compétences transversales ». On remarquera tout particulièrement l’entrée du développement de l’intelligence dans les objectifs de la scolarisation.

C’est bien au fond de cela dont il est question dans cette évolution, comme dans une bonne part des difficultés actuelles du système éducatif, à condition de spécifier que l’intelligence en jeu ici est l’intelligence abstraite, celle que l’enseignement secondaire va solliciter massivement dès l’entrée au collège(83). Malgré la clarté surprenante de ce texte, les implications pédagogiques d’une telle novation sont apparues lentement et difficilement aux acteurs du système d’enseignement primaire. L’adaptation aux nouveaux objectifs assignés à l’enseignement primaire est manifestement toujours en cours. Elle suscite des incompréhensions vertigineuses, ainsi que des résistances farouches adossées à ces abîmes d’incompréhensions, comme le montrent assez les follicules saisonniers des idéologues de l’instruction qui se prétendent républicains(84). La violence récurrente des débats sur l’apprentissage de la lecture est particulièrement caractéristique de ces faux débats. Quand elle ne débouchait sur rien d’autre que le bagage culturel minimal assuré à tous les citoyens, l’école primaire pouvait se contenter d’une lecture besogneuse : après tout, muni de cet encyclopédisme au rabais, à coups d’apprentissage mécanique de listes de préfectures, sous-préfectures, affluents et autres ornements culturels essentiels, les ouvriers et paysans sortis de l’école n’avaient plus à lire pour améliorer une culture dont on ne voyait pas l’intérêt pour eux. Et dont eux-mêmes en général voyaient encore moins l’intérêt, au vu de ce qui leur avait été présenté comme la culture ! Le système éducatif actuel, qui fait entrer tous les élèves dans l’enseignement secondaire, et souhaite amener une grande majorité d’entre eux au sommet de cet enseignement, exige à l’évidence tout autre chose que ce salmigondis, à commencer par une lecture aisée et intelligente. Ce qui est à l’évidence tout autre chose qu’une alphabétisation rudimentaire, du moins à des yeux un tant soit peu raisonnablement éclairés. Pour atteindre ce nouvel objectif, autrement ambitieux, une remise en cause des approches mécaniques traditionnelles de la lecture est indispensable, sous peine de bloquer une bonne partie des élèves au niveau d’une simple alphabétisation aujourd’hui insuffisante(85). On peut espérer que les décisions rétrogrades(86) prises en ce domaine par l’actuel ministre de l’Éducation nationale disparaîtront avec son passage malencontreux dans ces fonctions, sinon c’est tout le processus de démocratisation de l’enseignement secondaire qui sera de proche en proche remis en question.

Daniel Calin
Septembre 2006


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Propositions bibliographiques

La dernière « somme » en date sur l’histoire de l’enseignement en France a été publiée dans la collection Tempus par la Librairie Académique Perrin en 2003-2004 :


Autres références :


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Notes

(1) Nettement plus, en vérité. Les éthologues ont pu montrer, par exemple, que des oiseaux grandis sans contacts avec leurs congénères, parvenaient certes à voler, mais volaient plus tard et moins bien que les oiseaux normalement grandis parmi les leurs. Dès cette étape très ancienne de la phylogenèse, l’éducation joue un rôle significatif pour activer convenablement les schèmes instinctifs de comportement. Chez les grands singes, les schèmes instinctifs n’apparaissent tout simplement plus chez les jeunes coupés de leur espèce.

(2) United Nations International Children’s Emergency Fund, traduit ordinairement en français par Fonds des Nations unies pour l’enfance.

(3) Les lecteurs intéressés par cette large perspective se reporteront à l’ouvrage actuel de référence en ce domaine, Histoire mondiale de l’éducation, publié sous la direction de Gaston Mialaret et Jean Vial.

(4) Au sens administratif, en France, l’enseignement primaire regroupe les écoles maternelles et les écoles élémentaires.

(5) Voir les livres clefs de Samuel Noah Kramer, L’Histoire commence à Sumer, et de Jean Bottéro, Mésopotamie (L’écriture, la raison et les dieux). Cette écriture, dite proto-sumérienne, était de type pictographique.

(6) Il en existe de plus anciennes encore : celles de la grotte Chauvet, à Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche) datent d’environ 30 000 ans avant notre ère et semblent les plus anciennes connues dans le monde à ce jour.

(7) On peut tout aussi bien considérer que l’expression graphique « directe » de la pensée fait barrage à l’intérêt pour l’écriture proprement dite, comme le montre assez bien l’observation de certains enfants - voire de certains adultes !

(8) Comme, probablement, toute invention. La représentation de l’invention comme fulgurance est une construction idéologique moderne, romantique en particulier, qui coupe le créateur de l’histoire dans laquelle il s’insère toujours et dont sa création procède toujours.

(9) Son apparition est ordinairement située vers 2 800 avant J.-C. À titre de comparaison, l’écriture chinoise émerge au XIVème siècle avant notre ère. Même si elle est de beaucoup plus récente que les écritures babyloniennes et égyptiennes, elle est cependant celle qui a la plus longue histoire : même si ses graphies ne se sont stabilisées que progressivement, l’écriture chinoise garde jusqu’à nos jours ses caractéristiques originaires, en particulier son principe pictographique.

(10) Un pictogramme est un dessin figuratif plus ou moins stylisé qui renvoie à ce qu’il figure. Un idéogramme est un signe graphique qui renvoie directement à une idée, sans lien avec les sons du mot qui exprime cette idée dans la langue parlée. Les liens entre un idéogramme et l’idée qu’il représente sont variables. Ils vont de la figuration (on parle alors de pictogrammes) à la pure convention (par exemple le panneau routier de sens interdit) en passant par divers degrés d’analogie.

(11) Une écriture syllabique utilise des signes qui correspondent à des syllabes, qui sont des sons articulés plus ou moins complexes, prononçables isolément, une écriture alphabétique utilise des signes qui correspondent à des phonèmes, qui résultent de l’analyse de la parole en ses composants élémentaires. Ces deux écritures sont des écritures phonétiques, dont le principe est la représentation des sons de la langue parlée, par opposition aux écritures idéographiques dont le principe est la représentation directe du sens.

(12) Ou pour certains psychotiques, enfants comme adultes. On peut cependant se demander si cette relation indirecte au sens ne pose pas problème, hors de toute pathologie, aux très nombreux enfants qui investissent préférentiellement des modes de signification plus directs, comme les images ou l’expression corporelle.

(13) Emilia Ferreiro a montré que l’on retrouvait une étape syllabique dans l’approche spontanée de l’écriture par les jeunes enfants. Le découpage syllabique de la parole est porté par son rythme même. Il a quelque chose de naturel, comme le montrent bien le goût des très jeunes enfants pour les « jeux de sons » des comptines. Le découpage phonétique est au contraire très artificiel par rapport à l’acte de parole, ce qui le rend beaucoup plus difficile d’accès pour nombre d’enfants.

(14) Le répertoire des signes passe ainsi de 900 à l’époque primitive à environ 500 vers 2400 avant J.-C.

(15) Apparu vers 600 avant J.-C.

(16) De filiation précise encore controversée, il est apparu vers 500 après J.-C.

(17) Apparu vers 800 avant J.-C.

(18) Apparu vers 400 avant J.-C.

(19) Apparu vers 700 avant J.-C.

(20) Emilia Ferreiro a également montré l’existence d’une étape consonantique dans l’approche spontanée de l’écriture par les jeunes enfants.

(21) Voir, sur le site pédagogique de la Bibliothèque Nationale de France, le remarquable dossier consacré à L’aventure des écritures.

(22) Cela vaut pour les garçons à partir de 7 ans environ. Les jeunes enfants, garçons et filles, vivent dans le gynécée.

(23) Cela est probablement à mettre en lien avec le fait que les hommes eux-mêmes vivent essentiellement entre eux, hors de leur domicile.

(24) Le mot signifie : « celui qui conduit l’enfant ».

(25) Voir l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité d’Henri-Irénée Marrou.

(26) Voir en particulier le livre de Jean Bottéro.

(27) Y compris le dernier ministre en place au moment où j’écris ces lignes, Gilles de Robien. Voir sa très controversée circulaire sur l’apprentissage de la lecture.

(28) Sur cette question, voir aussi le point 7.3.2, Entrer dans l’écrit.

(29) Ce que, de toutes façons, les écritures idéographiques, comme le chinois actuel, ne sont en aucune façon.

(30) Voir ici surtout Jack Goody.

(31) DUBY G. (1976), Le temps des cathédrales, Gallimard, Paris.

(32) Luther (1483-1546) est excommunié par Rome en 1521, suite à un conflit entamé en 1517.

(33) L’imprimerie est d’abord une invention chinoise : le papier apparaît à l’aube du IIème siècle, l’imprimerie par bois gravés (xylographie) apparaît vers le VIIème siècle, le caractère mobile est inventé par un artisan, Pi Cheng, vers 1040.

(34) On peut inverser la relation causale, et considérer le protestantisme lui-même comme le produit de la vulgarisation du livre permise par les faibles coûts du livre imprimé, comme tend à le faire Pierre Lévy (Les technologies de l’intelligence (1990), La Découverte, Paris.

(35) Au Moyen-Âge, les Facultés dites des « Arts » sont des propédeutiques aux enseignements universitaires supérieurs (Théologie, Médecine, Droit). Elles anticipent notre enseignement secondaire. Elles deviennent tôt prépondérantes par le nombre d’étudiants, les cinq sixièmes dès le XIVème siècle. On y entre alors vers 13 ou 14 ans, après avoir appris à lire et écrire, le plus souvent dans des écoles dites « de grammaire », survivances des institutions gréco-romaines.

(36) On considère généralement que le premier collège est la Haute-École ouverte par l’humaniste protestant Jean Sturm en 1538, à Strasbourg.

(37) La Compagnie de Jésus, fondée par Ignace de Loyola (1491-1556) dans un esprit de Contre-Réforme, est officialisée en 1541.

(38) Codifiées dans le Ratio studiorum de 1599, après un premier projet de règlement de 1586.

(39) Avant la fin du XVIème siècle, l’Académie de Nîmes impose l’usage du français durant les trois premières années.

(40) Dans De l’institution des enfants.

(41) En particulier Vittorino da Feltre (1378-1446), Erasme (1468-1536), Rabelais (1493-1553), Montaigne (1533-1592), Campanella (1568-1639).

(42) Les Oratoriens, fondés à Rome en 1575, implantés en France par une décision pontificale de 1613, ont eu une histoire très agitée, du fait en particulier de leurs tentations jansénistes.

(43) Avec de fortes variations : les Oratoriens n’ont pas l’organisation hiérarchique rigoureuse des Jésuites.

(44) Le premier est fondé à Reims en 1685.

(45) C’est bien la seule homogénéité des niveaux qui est visée. Le souci de l’homogénéité des âges est absent de l’esprit du temps. Il n’émergera qu’au cours du XIXème siècle, pour ne prendre que beaucoup plus tard encore la forme obsessionnelle que nous lui connaissons maintenant.

(46) L’Institut des Frères des Écoles chrétiennes existe toujours. De nombreux laïcs participent à ses activités. Aujourd’hui, les Lasalliens, Frères et laïcs, scolarisent dans le monde environ 800 000 élèves dans plus de 900 institutions éducatives. Voir leur site ICI.

(47) LÉON A., ROCHE P. (1967), Histoire de l’enseignement en France. Page 43. Ce critère de la signature des actes est le seul critère sur lequel on puisse fonder aujourd’hui des études statistiques sur l’alphabétisation. Bien sûr, il ne dit pas grand chose de degré et de la qualité de l’alphabétisation qu’il indique.

(48) Texte intégral ICI.

(49) 1754-1838.

(50) 1741-1794. Républicain mais opposé à la mort du roi, critique par rapport à la Constitution de 1793, il est poursuivi par la Convention montagnarde. Clandestin, puis arrêté en mars 1794, il meurt deux jours plus tard dans sa cellule d’un œdème pulmonaire. Sur Condorcet, voir BADINTER É., BADINTER R. (1990), Condorcet (Un intellectuel en politique), Le Livre de Poche, Paris.

(51) Masculin uniquement et dans un climat extrêmement tendu, par des assemblée d’électeurs auxquelles ne participent que 10 % des électeurs potentiels.

(52) Texte intégral ICI.

(53) Un premier plan, élaboré par Daunou, Lakanal et Siéyès, présenté à la Convention le 26 juin, est écarté le 3 juillet par la nouvelle majorité montagnarde. Déjà, l’objectif éducatif y prime sur l’objectif d’instruction : la République doit enseigner les mœurs plus que les lumières.

(54) Une partie des Montagnards étaient opposés à l’obligation scolaire. Certains, comme Coupé de l’Oise, par opposition à l’instruction du peuple paysan : « Laissons-lui ignorer les atomes, et les molécules organiques, pourvu qu’il soit robuste et son champ bien cultivé. » D’autres, comme Hentz, par méfiance politique vis-à-vis du savoir : « Voyez les sans-culottes, voyez les patriotes ; sont-ce des savants ? »

(55) Le projet Bouquier, amendé, en particulier pour rendre l’école obligatoire.

(56) 1761-1840.

(57) 1762-1845.

(58) Qui feraient certainement encore rêver les collégiens et lycéens d’aujourd’hui !

(59) Voir le site de l’Institut ICI.

(60) Voir texte intégral ICI.

(61) Qui reprendront le nom de « collège ».

(62) De la Onzième à la Septième, avec parfois même une Douzième pour les plus jeunes.

(63) En particulier dans les collèges municipaux, les héritiers les plus directs de l’Ancien Régime, que la loi de 1802 va de fait permettre de reconstruire.

(64) Initié par l’écossais Andrew Bell vers 1795, appelé aussi parfois « méthode monitoriale », l’enseignement mutuel est une organisation pédagogique dans laquelle des enfants plus avancés enseignent à des enfants moins avancés, selon un ordre pyramidal rigoureusement défini et avec des méthodes précisément codifiées. Un seul maître peut ainsi superviser les apprentissages de centaines d’enfants. La discipline est assurée par un tribunal d’enfants. Sur l’histoire et les pratiques de l’école mutuelle, voir en bibliographie le livre récent d’Anne Querrien.

(65) 1787-1874. Il sera aussi ministre des Affaires Étrangères de 1840 à 1847, tout en étant alors en réalité la tête pensante du gouvernement.

(66) Texte intégral ICI.

(67) Le programme des écoles primaires (article 1 de la loi) comprend « l’instruction morale et religieuse ».

(68) Texte intégral ICI.

(69) Article 17 : « La loi reconnaît deux espèces d’écoles primaires et secondaires : 1/ Les écoles fondées ou entretenues par les communes, les départements ou l’État, qui prennent le nom d’écoles publiques ; 2/ Les écoles fondées ou entretenues par des particuliers ou des associations, qui prennent le nom d’écoles libres. »

(70) La spécificité française d’une école maternelle gratuite prend donc sa source dans cette loi. Les salles d’asile avaient pris le nom d’écoles maternelles en 1848, appellation abandonnée en 1855, puis reprise définitivement le 2 août 1881. En 1880, il existe 4 650 salles d’asile.

(71) Texte intégral ICI.

(72) Sur la question de la laïcité, voir aussi le point 3.1.

(73) Il existait également des Cours complémentaires, de moindre niveau.

(74) On peut considérer que ces écoles primaires supérieures renouaient dans une certaine mesure avec les écoles centrales de la Convention thermidorienne, supprimées ensuite par Bonaparte.

(75) Diplômés eux par l’Université, alors que ni les diplômes des écoles primaires supérieures ni les diplômes des écoles normales ne font l’objet d’une validation universitaire.

(76) Ou plutôt de présentés à cet examen : de tradition, les instituteurs ne présentaient guère que les élèves qui avaient de bonnes chances d’être reçus, soit environ 50 % des élèves en moyenne nationale à la fin des années 1930.

(77) Réforme Carcopino de 1941.

(78) Texte intégral ICI.

(79) Texte intégral original ICI.

(80) Ce que montre assez le fait que la loi Haby a été à ce jour peu touchée par les réformes ultérieures et reste presque intégralement en vigueur à l’heure actuelle.

(81) Texte intégral original :

(82) Cet article est repris mot pour mot dans l’article L. 312-3 du Code de l’éducation, qui n’y ajoute que le « premier apprentissage d’une langue vivante étrangère », ainsi que l’inénarrable « apprentissage de l’hymne national et de son histoire », seul héritage notoire du passage de Jean-Pierre Chevènement au Ministère de l’Éducation nationale !

(83) C’est bien cet objectif qui est au fond des approches actuelles de la métacognition. Voir le point 8.2.3.

(84) Voir point 6.1.2, partie Éduquer ou instruire ?

(85) Cette alphabétisation correspond d’ailleurs à ce que nous appelons désormais l’illettrisme.

(86) Circulaire Apprendre à lire du 3 janvier 2006.


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