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Troubles spécifiques des apprentissages : effets d’un « dyscours »

 

 
Un texte de Claire Anatole
Psychologue scolaire


Publication originale  Article initialement publié dans le trimestriel Psycho média, n° 21, Juin 2009.
Autres textes de Claire Anatole  Voir les autres textes de Claire Anatole publiés sur ce site.
Un livre avec Claire Anatole  Claire Anatole a participé à l’ouvrage collectif Psychologie de l’éducation (Tome 3 – Cas d’enfants – Situations d’école, situations d’élèves), sous la direction de Serge Netchine, col. Lexifac-Psychologie, Bréal, 2009.

 

Psychologue dans l’Éducation nationale, l’auteur observe depuis plusieurs années la multiplication de nouveaux signifiants, appelés au chevet du non-apprenant. De dyslexie en dyscalculie, les anomalies des processus de l’apprentissage sont traquées et disséquées pour être dénommées. La théorisation de l’acte d’apprendre, opérant un glissement de l’art pédagogique vers la technicité du « spécialiste remédiant », a modifié la place de l’enfant apprenant. Cette dernière perd peu à peu sa dimension singulière et subjective pour devenir une entité à la mécanique complexe. Les effets de cette objectivation scientifique du sujet apprenant, productrice d’une série inépuisable de signifiants diagnostiques, méritent d’être questionnés comme instituant une nouvelle logique scolaire dont les conséquences sur le vécu scolaire de nos enfants restent à penser.

 

La multiplication des « dyscours »

Pour le moins prolixe, le discours autour des difficultés d’apprentissage a produit des catégories nouvelles permettant de construire une « noso­graphie de l’échec scolaire ». On en trouve une sériation dans la Classifica­tion internationale des maladies et problèmes de santé connexes (CIM-10) ou dans la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV).

En première lecture, cette nosographie de troubles divers témoigne de la complexité de l’activité d’apprentissage, mise à jour grâce au progrès des recherches scientifiques récentes. Apprendre relève ainsi d’une mécanique complexe dont un simple rouage peut parfois se gripper. Tout enfant en situation de difficulté scolaire est alors susceptible d’être la victime d’une « dys » fonction qui entraverait son apprentissage. La multiplicité des troubles décrits apporte une terminologie scientifique, un « dyscours »qui peut être accolé à tout douloureux échec.

Cette multiplication nosographique, pur produit de l’avancée des connaissances sur les mécanismes cognitifs de l’apprentissage, se décline en divers « dys » : dyslexie, dyscalculie, dysorthographie... Ces derniers isolent et décrivent chaque difficulté d’appren­tissage pour la traduire en termes de trouble spécifique. Ces dysfonc­tionne­ments particuliers proposent une explication logique à une difficulté scolaire, résumant en un mot, la cause d’un écart à la norme dans l’efficience scolaire d’un enfant.

Alexandre est un enfant agréable de CE1 avec un niveau général moyen, mais qui rencontre des difficultés persistantes en dictée. Rapidement, l’équipe enseignante s’interroge sur l’éventualité d’un trouble spécifique du langage écrit (à savoir une dysorthographie). Une difficulté, autrefois banale dans l’apprentissage et travaillée en classe, qui est aujourd’hui traitée très souvent comme une potentielle symptoma­tologie d’un trouble spécifique appelant un diagnostic extrascolaire.

L’exemple d’Alexandre est loin d’être marginal, comme le dénote l’engorgement des centres de référence en Île-de-France pour les troubles spécifiques des apprentissages.

Ces troubles spécifiques abordent, par définition, la sphère cognitive de l’acte d’apprendre en sous-entendant qu’une capacité en jeu dans l’appren­tissage est défaillante. Il manque alors quelque chose à l’enfant pour qu’il accède au savoir... un mécanisme est entravé. Cette description de l’acte d’apprendre prend ses racines dans une conception mécaniciste de l’apprentissage où chaque verrou doit être en place, chaque engrenage bien huilé. L’étude de l’objet apprenant, extraction scientifique réduisant un élève à un objet mesurable et expérimentable, a permis de décrypter les méca­nismes complexes de certains échecs dans l’acquisition d’une compétence, comme par exemple : la lecture.

Cette réduction pose problème. L’étiologie des troubles spécifiques des apprentissages reste discutée, comme en témoigne le récent rapport de l’INSERM(1) : « Il existe sans doute plusieurs causes distinctes de la dyslexie, et donc plus d’une théorie pourrait être correcte, chacune pour un sous-ensemble de la population dyslexique(2). » Ce dernier fait référence à des causes neurologiques, mais également environnementales et développemen­tales. Diverses formes de dyslexie semblent émerger de chaque étude citée dans ce rapport. Quelque chose chez le sujet demeure irréductible à l’expérimentation et aux études statistiques. Fort heureusement, il y aura toujours un Kévin ou une Margaux pour échouer aux premiers 10 items et réussir aux suivants malgré leur difficulté croissante. Le discours scientifique sur les troubles spécifiques des apprentissages a sans doute la complexité de son objet d’étude, l’enfant.

La difficulté initiale en orthographe d’Alexandre n’est pas directement compréhen­sible par les partenaires éducatifs, elle pose question. Les parents et l’enseignant ne s’expliquent pas les raisons d’un échec à ce point ciblé chez un enfant, par ailleurs intelligent et bien suivi dans le milieu familial. Dans cette période où le mot d’ordre général énoncé dans les instructions officielles de l’Éducation nationale est la réussite de tous les élèves, ce questionnement est difficilement soutenable par les partenaires. Le bilan viendra donc combler un questionnement à peine ouvert, le savoir scientifique étant appelé là où réside la singularité d’Alexandre.

Peut-être qu’avant toute investigation médicale (les bilans des troubles spécifiques étant effectués en centre de référence hospitalier), il aurait été opportun de questionner la relation qu’Alexandre entretenait avec l’écrit ou d’interroger ses fautes d’orthographe comme un indice possible d’une certaine résistance à l’apprentissage des règles lexicales. Alexandre semblait avoir toutes les capacités pour entrer dans le code écrit. À noter que les fautes d’orthographe étaient particulièrement fréquen­tes dans les situations d’évaluation scolaire, et moins importantes dans d’autres.

Sans évacuer le diagnostic possible de dysorthographie, une approche psychologique aurait pu interroger l’hypothèse d’une réelle résistance inconsciente de l’enfant face aux codes de l’écrit. La cause provenant peut-être d’une jalousie larvée du jeune garçon envers une grande sœur particulièrement brillante dans le domaine des lettres ou d’une résistance silencieuse à l’idéal maternel, professeur de lettres dans un collège. Plusieurs autres hypothèses auraient peut-être pu être travaillées sur la base des entretiens cliniques réalisés par le psychologue. Mais pour cela, il aurait fallu laisser le questionnement ouvert et ne pas si rapidement enfermer le symptôme dans un dyscours.

Plus généralement donc, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture semble avoir basculé progressivement du registre d’un art pédagogique à celui d’un objet scientifique. L’art pédagogique mettait l’enfant au centre de l’apprentissage, dans une relation à l’Autre(3), support nécessaire à des identifications et à la création d’un Idéal du Moi. Une approche scientifique étudie l’élève comme n’importe quel autre objet d’étude, dont la mécanique est disséquée et les déviances repérées puis réparées par des spécialistes médicaux ou paramédicaux. Ce glissement du sujet à l’objet nécessite la création de signifiants complexes, tous construits sur la base d’un dysfonctionnement parcellaire. C’est ainsi que se produit l’émergence d’un dyscours dont il faudra multiplier les formes à l’infini pour couvrir la complexité et la singularité de chaque sujet.

 

Place de ce dyscours dans l’institution scolaire

Quelle place l’institution scolaire accorde-t-elle à cette auscultation de l’élève en situation d’échec scolaire et à ce dyscours logifiant ? Force est de constater que cette place (que l’institution scolaire laisse à cette approche scientifique) est confortable. Le discours scientifique a produit des outils d’évaluation et de remédiation dont l’Éducation nationale s’est rapidement emparée. Ainsi les enfants scolarisés en grande section de maternelle reçoivent-ils la visite du médecin scolaire ou parfois de l’infirmière scolaire pour une évaluation de leur niveau de conscience phonologique(4).

Aux évaluations pédagogiques classiques, réalisées par l’enseignant de la classe, sont préférées des évaluations ponctuelles et étalonnées. Bien sûr, l’une ne se substitue pas à l’autre mais, néanmoins, la fiabilité du regard de l’adulte référent de la classe sur ces enfants qu’il accompagne six heures par jour est moindre au regard d’une évaluation statistique et médicale, réalisée en quinze minutes. Le rapport de l’INSERM(5) cite comme acteurs de terrain, « instituteurs, rééducateurs, médecins » en omettant, cela irait presque de soi, les psychologues de l’Éducation nationale ! Ce même texte souligne, plus loin, « le peu de prédictivité des échelles classiques d’intelligence, comme les échelles de Wechsler (WPPSI, WISC) ou du K-ABC, pour dépister les troubles des apprentissages et en particulier les dyslexies(6) ». Les auteurs du rapport suggèrent également la nécessité d’une remise en question de l’utilisation exclusive de ces outils par les psychologues scolaires.

La dimension affective, inhérente à toute situation pédagogique en tant qu’elle reste une relation à l’autre détenteur d’un savoir que l’on n’a pas, n’est pas abordée. La dimension du désir d’apprendre est là aussi réduite au silence, ou au mieux apparaît alors négligeable. Or le psychologue sait que c’est avant tout dans cet espace relationnel que se loge le sujet, auteur de son apprentissage et de ses choix. C’est l’enjeu du bilan psychologique réalisé en milieu scolaire qui cherche, grâce à différentes rencontres (avec l’enfant et les partenaires) et divers outils, à comprendre la dynamique d’apprentissage et la dynamique psychique de l’enfant.

Plus les troubles spécifiques des apprentissages ont une coloration sémantique scientifique, plus ils sont liés à une pratique médicale stricte, et plus l’avis du psychologue semble négligeable.

La difficulté d’Alexandre en orthographe devenant un objet mesurable, toute mise en sens potentielle de cette dernière fut éludée et la prise en charge de cette difficulté évacuée du milieu scolaire classique pour être confiée à des spécialistes (rééducation orthophonique). Le rapport de l’enfant, de sa famille à cette difficulté ne fut pas investi dans cette prise en charge. La famille, qui n’entendit pas l’hypothèse proposée par le psychologue en équipe éducative, cristallisera les démarches d’accompagnement pédagogique de l’enfant autour de cette potentielle « dysorthographie ». L’hypothèse d’une dys... chez Alexandre clôtura tout dévelop­pement du questionnement ouvert par le symptôme.

Or toutes les machines, et en ce sens le terme d’appareil psychique apparaît comme une excellente métaphore, ont besoin d’énergie et d’une intention initiale pour se mettre en action. Avant d’amener sa voiture en panne chez le garagiste, ne commence-t-on pas par vérifier la jauge d’essence et par tenter de la démarrer ? Avant de diagnostiquer un trouble spécifique de l’apprentissage, n’est-il pas une évidence qu’il conviendrait de commencer par interroger le désir d’apprendre et la disponibilité psychique de l’enfant ?

La pratique d’un psychologue scolaire n’est faite que de ces rencontres essentielles avec ce qui, chez l’autre, fait symptôme et donc ne suit pas le sens linéaire tracé par l’institution. La banalisation et la récurrence du diagnostic en termes de « dys » qui est appelé au chevet du non-lecteur posent une véritable question d’éthique dans notre façon d’appréhender un enfant entre autres apprenant, c’est-à-dire un élève. La disparition programmée des RASED(7) participe de cette logique de scientisation de l’objet apprenant en l’évidant de sa dimension subjective et désirante, ou plus exactement souffrante.

Il me semble alors important de questionner le succès de ce que j’ai qualifié comme un « dyscours » qui fait son lit dans une institution dont le cœur même est le savoir. Les bénéfices pour l’institution sont aisément repérables. Tout diagnostic médical d’un échec scolaire permet de faire l’économie du malaise et du questionne­ment ouvert par ces élèves en difficulté. Au « pourquoi n’apprennent-ils pas ? », la science apporte une réponse définitive qui clôt des années de réflexion et d’innovation pédagogique.

Il n’est pas dans mon intention de minimiser ou de nier la réalité des troubles spécifiques des apprentissages. Ils existent et ne sont pas nés d’hier. Leur prise en compte a sans aucun doute participé à une réelle amélioration dans les projets d’accompagnement thérapeutique des élèves en difficulté. Le suivi orthophonique a sans aucun doute aidé Alexandre, mais n’a jamais, à ma connaissance, pu évacuer ce symptôme. La mission du psychologue est aussi de penser les effets susceptibles d’être produits par un signifiant diagnostique apposé sur un symptôme. Que se passe-t-il quand un savoir médicalisant recouvre la dimension subjective et désirante de l’acte d’apprendre ou de ne pas apprendre ? Comment un enfant perçoit-il le fait d’avoir un trouble de l’apprentissage ? Quelle place, quelle valeur ce signifiant « diagnostic » prend-il pour l’enfant, sa famille et l’enseignant ? Quels sont les effets de ce « dyscours » ?

Au « pourquoi Alexandre fait-il autant de fautes d’orthographe ? », une réponse scientifique résuma cette difficulté en un nom : dysorthographie. Voici Alexandre marqué du sceau de la dys-férence, il devint ainsi un élève presque comme les autres. La rééducation orthophonique, au fil des séances, contribua à diminuer le nombre de fautes commises par l’enfant dans des situations construites pour lui (situations entrant dans le cadre du PPRE(8) construit par l’enseignante et l’ortho­phoniste). Néanmoins, pendant toute sa scolarité élémentaire, Alexandre gardera, cultivera un rapport très particulier au langage écrit. Complètement démobilisé dans les situations de dictée, Alexandre renoncera à tout effort avec l’accord tacite de son enseignant. Quand il s’agissait d’orthographe, Alexandre était un enfant différent.

 

Effet de dyscours

Le diagnostic médical, quand il n’engage pas de pronostic vital, a un effet apaisant facilement observable car il vient colmater la brèche ouverte par le symptôme. Tout symptôme porte en lui une plainte et une question. Comment décrypter ces messages ressentis dans ce corps que Françoise Dolto nommait le corps parlant(9) ? Il suffit alors qu’un médecin recouvre cette question par un signifiant et, fidèle au meilleur effet placebo, un apaise­ment survient. L’apaisement survient également de la certitude que l’Autre aura entendu la plainte et proposera le traitement efficace, la réponse à la question. L’essentiel de l’effet positif du diagnostic est logé là, dans ce point d’incertitude creusé par le symptôme. Néanmoins, tous les débats éthiques portés par la médecine témoignent aujourd’hui qu’il existe d’autres effets dans la cristallisation sémantique de l’être sur un diagnostic.

Cet effet apaisant est aussi réel dans les troubles spécifiques des appren­tissages, et explique en grande partie le succès de ces approches.

Pour l’enfant, dépasser la solitude inhérente à son sentiment d’incompé­tence grâce à un signifiant comme la dyscalculie a une visée économique certaine qui contribue à une renarcissisation. Pour l’enfant et ses proches, la sidération du « Je n’y arrive pas, je suis nul » s’évanouit dans la parole du spécialiste qui nomme ce qui fait défaut en proposant un remède. Mais ce premier temps de restauration narcissique ne résume en rien l’effet de ce signifiant sur la construction identitaire d’un enfant et sur la place que ce dernier va ensuite occuper.

Être nommé différent dans un groupe classe n’a jamais été une position enviable et quand cette différence s’énonce en un dysfonctionnement supposé neurologique, je crois qu’il serait bon d’interroger les effets de ce diagnostic à long terme. Chaque enseignant pourrait témoigner de la souffrance d’un enfant dont on marginalise la place dans un groupe classe. Les identifications entre pairs soudent le groupe et rassurent l’enfant dans sa position subjective d’élève apprenant. Être l’élève « dys-férent » dans un groupe ne sera jamais facile à vivre pour un enfant.

Que veut encore dire « avoir un trouble dyslexique », sachant que de nombreuses études internationales corrèlent ces troubles et une future précarité sociale ? Comme le souligne Lucien Castagnera, « les personnes qui ont les plus faibles capacités de lecture et d’écriture sont de 4 à 12 fois plus exposées au chômage que les autres(10) ». Appartenir à un tel groupe d’élèves, si on se réfère à ce genre d’études statistiques, devient à long terme très préoccupant.

Pour les parents de l’enfant en difficulté scolaire, le diagnostic apporte aussi un soulagement premier. Cette restauration de l’image de leur enfant en tant qu’élève, non plus en difficulté mais victime d’un trouble spécifique des apprentissages, permet de rétablir l’alliance parfois rompue entre les parents et leur enfant autour des enjeux scolaires. L’ennemi devient d’une certaine façon exogène, comme un virus que l’on peut ensuite combattre de front ensemble. Cependant, là encore, le diagnostic cristallise une difficulté scolaire en un trouble d’étiologie peut-être neurologique ou génétique. L’incertitude et l’inquiétude des familles un instant apaisées se changent alors parfois en angoisse et en culpabilité d’avoir un enfant reconnu handicapé.

La renarcissisation qu’apporte le diagnostic est immédiate, elle fonctionne comme un colmatage du symptôme dans sa dimension de questionnement mais réduit un champ des possibles à un seul signifiant, étiquette qui clôture tout autre discours. Pourtant, des possibles pour un enfant de 7 ans, il y en a beaucoup à condition de refuser toute réduction de l’être à un diagnostic, fut-il celui de troubles spécifiques des apprentissages. Il ne s’agit tout au plus que d’un avoir : tel enfant n’est pas dyslexique, il a un trouble dyslexique.

L’enseignant reçoit l’annonce du diagnostic comme une redistribution des cartes où il perd en quelque sorte la main. Kévin, l’élève faible pour lequel il était en recherche de médiations et d’outils pédagogiques, devient désormais le dyslexique de la classe dont il faudra aménager l’emploi du temps pour intégrer les séances d’orthophonie et écrire un projet spécifique. L’enseignant mesure alors son incompé­tence dans l’apprentissage de la lecture pour cet élève et en conclut qu’il n’a pas les outils suffisants pour lui transmettre un savoir. Un spécialiste se chargera de cela. Les effets de cette disqualification du maître envers son élève ne sont absolument pas réfléchis. Pourtant un réel mal-être des enseignants est perceptible dans leur plainte de ne pas savoir s’y prendre avec ce genre d’élève.

Jusqu’alors, toutes les classes étaient hétérogènes mais c’était tout l’art du bon pédagogue que de savoir s’adapter à chaque élève. À présent, il est écrit que pour certains enfants, l’enseignement relève de spécialistes, clôturant, je le crains, tout un espace de création pédagogique.

 

Pour conclure

Beaucoup d’autres axes de réflexion sur la question des effets du diagnostic de troubles spécifiques des apprentissages devraient être menés au sein de l’Éducation nationale. Cette réduction de l’apprentissage à une mécanique cognitive évacue la dimension subjective et cristallise toute déviance en une pathologie. Cette logique scientiste donne l’illusion d’une maîtrise sur l’aventure la plus incertaine mais aussi la belle de nos vies, celle qui mène de l’enfance à l’âge adulte, celle qui construit chaque apprentissage.

En fin de compte, Alexandre a, semble-t-il, poursuivi sa scolarité, étayée par des séances d’orthophonie dont il finira comme beaucoup d’enfants par se lasser. Des fautes d’orthographe persistèrent mais, le plus important à mon sens, reste qu’Alexandre aura dans son bagage identitaire un signifiant scientifique qui le qualifie de « dysfonctionnant » en un domaine.

La clinique adulte foisonne d’exemples dramatiques où le mot en trop, le qualificatif maladroit énoncé par un proche, un parent ou un ami, cristallisa dans la construction narcissique du sujet une blessure profonde. Que dire des effets de ce mot quand ce dernier, loin d’être maladroit, appartient au discours scientifique ?

Claire Anatole
Juin 2009


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Notes

(1) L’INSERM est l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. Sur cette institution, voir cette note à un texte du Dr Vincent publié sur ce site. Le rapport dont il est question ici est une expertise collective publiée en 2007, intitulée Dyslexie, Dys­or­tho­graphie, Dyscalculie, Bilan des données scientifiques (Synthèse et recommanda­­tions) (format PDF, 5 Mo). Accessible également par parties à partir d’ici.

(2) Bréchot, C. (dir.), (2007) Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie. Bilan des données scientifiques, Paris, Éditions INSERM.

(3) Le grand Autre est un terme lacanien qui signifie une entité abstraite incarnée notamment pour l’enfant par les grandes figures éducatives, support à ce que la psychana­lyse nomme l’Idéal du Moi.

(4) La conscience phonologique est un concept pédagogique qui consiste dans le fait de discriminer finement les unités de la langue lors de l’écoute attentive (reconnaissance des syllabes, des sons qui composent un mot, etc.).

(5) Bréchot, C., (dir.) (2007) Op. cit.

(6) Ibid., pages 542 et 544.

(7) Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.

(8) Programme personnalisé de réussite éducative (BO n° 31 du 31 août 2006).

(9) Dolto, F., (2000) L’Image inconsciente du corps, Paris, Le Seuil.

(10) Castagnera, L., (2001) L’Enfant « DYS » et l’échec scolaire. De la difficulté de la reconnaissance de son trouble au grave problème de son orientation, Hôpital Pellegrin, CHU Bordeaux.

 
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