Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Les enfants du chaos
Ou
Les problématiques de la pré-construction du sujet psychique

 

 
Un texte de Daniel Calin


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Publication originale  Ce texte de commande a été initialement publié dans le Journal de Psychologues, n° 258, Juin 2008.
Publication originale  Il est maintenant disponible dans sa version originale sur le site CAIRN.INFO.

 

Dans une conférence donnée lors du XXe congrès de l’AFPS à Arcachon, le 5 octobre 2007 intitulée Quelles prises en charge pour les enfants présentant des troubles du comportement ?(1), j’avais fait l’hypothèse que certains des enfants qui présentent ce qu’il est convenu d’appeler des troubles du compor­tement ne relèvent pas, ou pas essentiellement, des problé­matiques du rapport à la loi, mais de difficultés plus profondes, enracinées bien en deçà des premiè­res impositions éducatives, dans des formes particulières de dysfonctionne­ments du maternage. Ce sont ces enfants que j’ai pris l’habitude, peut-être pas très heureuse, de nommer les « enfants du chaos » et c’est sur leurs spécificités que je voudrais revenir dans cet article.

J’ai d’abord spécifié ces enfants par le fait qu’ils mettent en échec les pratiques éducatives et pédagogiques intelligentes de retissage du rapport à la loi, bien connues de qui le veut bien et qui vont de l’organisation coopérative de la classe inventée par Célestin Freinet aux divers courants de la pédagogie institutionnelle, jusqu’à la pédagogie institutionnelle adaptée proposée récem­ment par Sylvie Canat(2). Certains de ces enfants ne présentent d’ailleurs pas de problèmes nets de rapport à la loi et se définissent plutôt par une instabilité généralisée, émotionnelle, motrice, intellectuelle(3). Ils sont impulsifs, velléitai­res, ils oscillent sans cesse entre excitation et dépression, entre amour et haine, ils ne tiennent pas en place, leur gestualité part dans tous les sens, ils perdent constamment leurs affaires, leurs repères dans le temps et dans l’espace sont fragiles ou inexistants, le cours de leur pensée est décousu, ils ne retiennent rien... On pourrait dire qu’ils ne souffrent pas tant de « manque de repères » que d’une incapacité à prendre des repères et plus encore à les conserver. Ces personnalités chaotiques désespèrent éducateurs, pédagogues et psychothéra­peutes. Ils nous donnent l’impression de ne pas savoir « par quel bout les prendre », de ne pas « avoir prise » ou de ne pas « trouver la prise », de nous glisser constamment entre les doigts... ou entre les mots. Ils nous désorientent. Ils ne sont pas loin de parvenir à nous communiquer leur chaos intérieur. Ils risquent dès lors de susciter des réactions défensives d’abandon ou de rejet. « Les bras nous en tombent » et « nous baissons les bras ».

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Je propose donc désormais l’hypothèse que les difficultés souvent importantes et très résistantes de ces enfants renvoient à des formes particu­lières d’insuffisances du maternage. Winnicott nous a appris que le maternage devait être « suffisamment bon », pointant ainsi les distorsions du développe­ment induites par ses insuffisances comme par ses excès, carences et abandon­nisme d’une part, fusion, symbiose, « immaturité »(4) d’autre part. Ces notions renvoient aux problématiques de ce qu’il est convenu d’appeler l’attachement, donc de l’établissement des premiers liens, qui jette les bases des capacités relationnelles futures et même, plus largement, de la « confiance dans la vie », de l’appétit de vivre qui me semble constituer le fond de la notion assez confuse de « narcissisme primaire »(5). La plupart de ceux que je nomme les enfants du chaos(6) me semblent, de ce point de vue, dans les limites de la normalité. Certains sont même très vifs, à l’aise dans les relations et seraient « atta­chants », justement, s’ils n’étaient aussi désespérants – ou sont d’autant plus désespérants qu’ils sont de prime abord attachants.

Pour ces enfants, les problèmes ne me semblent donc pas se situer dans des défaillances de ces logiques de l’attachement, mais plutôt dans des insuffisances de ce que je propose de nommer les interactions structuran­tes précoces. C’est que le maternage ne met pas seulement en jeu que les registres émotionnels et relationnels de ce que Bettelheim nommait la mutuali­té. Il présente des aspects plus « techniques », qui n’ont probablement que des effets limités sur ces logiques du lien, mais qui sont déterminants pour ce qui est de la construction du sujet psychique. Un sujet psychique n’est pas défini que par sa relation globale à l’autre et à lui-même. Il est, aussi et d’abord, constitué par ce que le premier Freud nommait un « système perception-conscience », c’est-à-dire par un ensemble cohérent de repères internes et externes, dont tous les constructivismes psychologiques posent à juste titre qu’ils ne sont pas innés(7) et doivent être construits au cours de la psychoge­nèse. Piaget a remarquablement décrit, durant les trois premiers semestres de la vie, ce double processus de « naissance de l’intelligence »(8) et de « construc­tion du réel »(9), par lequel le nourrisson passe d’un état initial de grande désorganisation à un premier niveau d’organisation psychique, déjà très sophistiqué, marqué par des acquisitions aussi fondamentales que la distinction entre objets internes et objets externes, la construction du schéma corporel, la permanence de l’objet et le développement de multiples schèmes d’action. Seule limite de la valeur des analyses piagétiennes : Piaget pose que ce proces­sus, comme selon lui toute la psychogenèse, résulte de l’interaction spontanée et directe entre l’enfant et le monde, en gommant totalement, non seulement les logiques de l’attachement que nous venons d’évoquer, mais aussi toutes les interactions entre le bébé et son entourage, comme plus tard entre l’enfant et son univers humain.

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Je fais ici l’hypothèse, dans la lignée aussi bien de Winnicott que de Vygotski, que ce travail d’organisation fondateur de l’appareil psychique est au contraire conditionné par la qualité des interactions entre l’enfant et son environnement. Maurice Berger a pour sa part souligné l’importance d’une constance suffisante de l’environnement matériel et humain du tout petit pour qu’il puisse construire les « invariants » indispensables pour qu’il puisse « ac­quérir la représentation d’un univers doté d’une certaine permanence et de repères constants »(10). On voit certes mal comment un bébé pourrait construire la permanence de l’objet en vivant dans un univers instable, même si l’on prend convenablement soin de lui dans cet univers, tant sur le plan physique que sur le plan psychique. Et si l’enfant ne construit pas la perma­nence de l’objet, il ne peut pas non plus s’approprier sa propre permanence. C’est pourquoi Maurice Berger souligne que ces défaillances très particulières de l’environnement mettent en danger les bases mêmes de la capacité à penser le monde et à se penser soi-même, faute d’une expérience pensable du monde, donc. Il propose de nommer « troubles archaïques » ces atteintes des bases mêmes de l’appareil à penser. Notons que nous restons ici au plus près des logiques piagétiennes : Piaget fonde le développement de l’intelligence sur la seule interaction entre l’enfant et le monde et c’est bien ici l’impermanence « globale » du monde, indifféremment matériel et humain, qui rend impossible ce développement en rendant cette interaction inopérante.

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Je vais maintenant tenter de mettre en évidence d’autres types de défaillances possibles des interactions précoces entre l’enfant et son monde, spécifiquement humain cette fois. Diverses insuffisances « factuelles » dans les modalités interactionnelles entre le bébé et les personnes qui assurent son maternage sont également susceptibles d’entraver divers aspects de son déve­loppement psychique. On peut, schématiquement, poser que ces inter­actions comportent trois dimensions : corporelle, émotionnelle et cognitive. Je fais l’hypothèse que l’enfant organise les dimensions corporelle, émotion­nelle et cognitive de son appareil psychique à travers respectivement chacune de ces trois dimensions des interactions avec son entourage maternant.

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Dans le domaine corporel, Wallon a décrit ce qu’il a nommé le dialogue tonique entre le nourrisson et la personne qui le porte, notion similaire à ce que Winnicott nommera plus tard le holding(11). Wallon décrit remarqua­blement ce qui se joue d’ajustement tonique et gestuel entre le nourrisson et l’adulte. Porter un nourrisson que l’on n’a pas l’habitude de porter est loin d’être évident : certains nourrissons peu toniques nous « coulent des mains » si nous ne les « enveloppons » pas suffisamment, d’autres au contraire, très toniques, nous échappent des mains si nous n’ajustons pas assez vite nos gestes aux leurs. On le voit, il s’agit bien là d’un dialogue, et d’un dialogue en perpétuelle évolution au fil de la maturation de l’enfant. Le nourrisson, d’emblée, est acteur dans les mises en place de ces positions et dans les coordinations de ces gestes. J’ajoute à ces observations classiques l’hypothèse psychogénétique selon laquelle le nourrisson apprend à travers ces corps à corps premiers à explorer et à maîtriser ses propres possibilités corporelles, et ne peut enraciner que là cet apprentissage. Si l’entourage maternant de l’enfant ne comprend pas suffi­samment de personnes, quel que soit leur rôle social, capables d’interactions corporelles bien « ajustées » avec lui, alors cet apprentissage premier de la maîtrise corporelle se fera mal. Ce sont les bases de la maîtrise du corps qui s’établissent là, en particulier celles de la maîtrise de cet organisateur corporel fondamental qu’est l’axe vertébral. Nombre d’enfants présentant les troubles chaotiques du comportement que je tente ici d’analyser présentent une démarche hésitante, dégingandée, jointe à une maladresse globale, une propen­sion à se cogner contre les objets et les personnes, un mauvais « sens de l’équilibre », le tout évoquant les formes légères d’infirmité motrice cérébrale. Je soupçonne que la récente multipli­cation des étiquetages d’enfants comme « dyspraxiques » renvoie pour une bonne part à de telles problématiques. Je fais pour ma part un lien fort entre ces désorganisations corporelles diffuses et les insuffisances d’expériences précoces de dialogues toniques adéquats(12).

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Dans le domaine émotionnel, les interactions les plus archaïques sont probablement de l’ordre de ce que j’ai nommé ailleurs la fonction d’apai­sement(13). Cela concerne évidemment au premier chef ce que l’on doit faire pour aider un tout petit à s’endormir, mais on retrouve ce type de modalités interactionnelles dans situations assez variées. Il s’agit de toutes les inter­ventions, de la part des personnes qui assurent les soins du bébé, en milieu familial aussi bien que professionnel, qui visent à l’aider à conserver ou à retrouver un niveau d’excitation émotionnelle acceptable en lui-même et adapté à la situation. Niveau acceptable en lui-même, car le nourrisson est vite débordé et désorganisé par toutes ses émotions, qu’il s’agisse de colères, de chagrins ou de jouissances, et il est préférable de limiter autant que possible ces expériences désorganisatrices(14). Niveau adapté à la situation : si l’endor­missement passe bien par une sorte d’extinction émotionnelle, les activités ludiques exigent une certaine mobilisation émotionnelle, mais risquent d’être désorganisées par un trop fort investissement. Bien sûr, cela reste vrai la vie durant, la particularité du bébé étant qu’il ne peut opérer seul ces régulations. Il a besoin pour cela de la bienveillance d’un adulte, qui doit maîtriser forte­ment ses propres émotions, ne pas réagir aux manifestations émotionnel­les de l’enfant en fonction de ses affects à lui, mais en fonction, d’une part, de ce qu’il perçoit de l’état émotivo-affectif de l’enfant et, d’autre part, de ce qu’il pense être le niveau souhaitable d’activation émotionnelle de l’enfant adapté à la situation. Il s’agit généralement d’amortir en quelque sorte les manifestations de l’enfant, en n’y répondant pas, sinon a minima, pour signifier qu’on les perçoit, qu’on les « reçoit », mais sans les « ren­voyer », au contraire, en les « absorbant ». L’adulte apaisant fonctionne comme une sorte de « dissipateur émotionnel » qui délivre l’enfant de ses surtensions émotivo-affectives à travers ce type très particulier d’interactions que sont les interactions apaisantes.

Il est certain que ces interactions subtiles sont fortement susceptibles de dysfonctionner, pour de multiples raisons. Il n’est pas évident, par exemple, de rester serein face à un bébé très excité que l’on souhaite un peu trop vivement endormir. De même, les aléas de la vie émotionnelle propre des adultes qui prennent soin de l’enfant ne peuvent que les rendre plus ou moins aptes à la conduite d’interactions apaisantes. Il n’est d’ailleurs pas question de viser à un environnement parfaitement apaisant, qui risquerait fort de devenir un éteignoir émotionnel définitif pour un enfant ainsi trop régulé. Excitations et crises font partie de la vie. Elles sont même, jusqu’à un certain point, le sel de la vie. Il s’agit seulement de donner au tout petit « suffisamment » d’expériences apaisantes, pour lui permettre à la fois d’expérimenter les bienfaits de l’apaisement et de construire par intério­risation une capacité suffisante à s’apaiser lui-même. Sans quoi l’enfant risque fort d’être condamné à conserver un fond d’irritabilité, d’impulsivité, d’instabilité, quoi que l’on fasse plus tard avec lui et dans quelque milieu social qu’il vive.

Il me semble que la capacité à maîtriser ses émotions propres prend racine pour une large part dans des interactions précoces de ce type, et pas seulement ni d’abord dans les régulations éducatives ordonnées autour du rapport à la loi. Plus précisément, l’enfant doit d’abord avoir acquis une capacité suffisante de maîtrise de ses impulsions pour que plus tard l’imposition éducative des interdits et des obligations n’induise chez lui ni explosions incontrôlables de rage ni laminage affectif. Autrement dit, faute de telles expériences précoces, l’enfant sera plus tard inéducable ou difficilement éducable. Les familles qui avouent ne pas pouvoir « faire façon » de leur bout de chou de deux ans ne sont pas forcément des familles incapables de passer des douceurs du maternage aux rigueurs de l’éducation. Elles peuvent être aussi, et sont me semble-t-il de plus en plus souvent, des familles dont l’enfant a été mal préparé à l’éducation par des insuffisances discrètes du maternage, généralement peu décrites et peu pensées, donc difficiles à cerner par les professionnels, mais aussi et d’abord difficiles à éviter par les familles.

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Dans le domaine de l’activité de pensée, Feuerstein a bien repéré ce qui est certainement une des formes premières de médiation de l’activité cognitive. Il s’agit de l’étayage apporté par l’adulte à la focalisation de l’attention de l’enfant. Cet étayage se fait par une aide au découpage d’un objet sur le fond perpétuel­le­ment mouvant des impressions sensorielles, généralement grâce à un poin­tage accompagné d’une désignation lexicale, parfois quand c’est possible par manipulation de l’objet sous les yeux de l’enfant(15). « Regarde, c’est tel objet ! » ou « Tiens, c’est telle chose ! ». Cette focalisation au sens littéral se poursuit souvent par une aide au maintien de l’attention sur l’objet considéré, qui contrecarre l’instabilité de l’attention spontanée de l’enfant et l’amène à une meilleure observation que ce dont il serait spontanément capable(16).

Il me semble que ce type d’interactions cognitives précoces est indispensable pour que l’enfant apprenne à organiser son activité mentale. Il faut voir là l’apprentissage premier de ce que l’on pourrait nommer la « maî­trise cognitive de soi ». Cette construction suppose une présence suffisante auprès du bébé d’adultes suffisamment disponibles et eux-mêmes suffisam­ment « posés » pour être suffisamment attentifs aux manifestations cogniti­ves incertaines du tout petit. On imagine aisément tout ce qui est susceptible de réduire ce type subtil d’expériences, tant en milieu familial qu’en milieu professionnel. Je fais l’hypothèse que les difficultés d’attention importantes et résistantes, du type ce que le DSM-IV nomme « trouble de déficit de l’attention / hyperactivité » (TDAH)(17), ont plus à voir en général avec un déficit en interactions cognitives précoces de ce type qu’avec on ne sait quels supposés troubles neurologiques... ou alimentaires !

Bien sûr, la construction de la maîtrise cognitive de soi ne s’arrête pas là. Ces premières interactions se prolongent tout au long du développement, en particulier à travers des interactions langagières. Mais toute parole échangée ne joue pas ce rôle, ou ne le joue pas de façon suffisamment structurante. Babillages et bavardages n’ont guère d’intérêt ici, même s’ils tissent le plaisir de vivre ensemble. Par contre, sont ici déterminants les échanges verbaux dans lesquels l’adulte s’efforce de suivre la pensée de l’enfant, l’amène à la clarifier et à la préciser, l’aide à en améliorer la formulation. Dans le domaine pédagogique, le dialogue pédagogique de de La Garanderie(18) comme l’entretien d’explicita­tion de Pierre Vermersch(19) s’inscrivent dans le droit fil de ces modalités premières d’étayage de l’activité de pensée des enfants. On imagine sans difficulté à quel point certains enfants rencontrent rarement de telles expérien­ces, tant dans leur famille qu’en milieu collectif !

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On voit que commencent à se mettre en place extrêmement tôt, bien avant que l’idée même de loi ait le moindre sens, des choses aussi détermi­nantes pour le bon développement de l’enfant que la capacité à maîtriser ses mouvements corporels, la capacité à maintenir ses émotions à un niveau suffisamment bas pour que la vie la plus ordinaire soit tout simplement possible, ou encore la capacité à penser le monde et à se penser soi-même autrement que sur le mode d’hallucinations chaotiques saturées d’affects. C’est bien la structuration première du sujet psychique qui se met en place, dans tous les domaines essentiels de la vie psychique, à travers ces divers types d’interactions structurantes précoces, si du moins l’enfant croise suffisamment d’adultes capables de lui apporter suffisamment d’expériences en ces différents domaines. Ce n’est pas d’ailleurs pas nécessairement le même adulte qui doit amener l’ensemble de ces apports interactionnels, fort heureusement. De même, ces apports interactionnels ne se limitent pas à la toute petite enfance, loin de là. Au contraire, ils tissent l’arrière-plan de toute relation éducative et pédagogique. Les défaillances premières sont donc susceptibles d’être comblées dans une certaine mesure par des expériences ultérieures.

À condition toutefois que les manques précoces n’aient pas trop radicalement perturbé ou empêché la structuration du sujet. Quand c’est le cas, il est probablement nécessaire d’en passer par des prises en charge spécifiques, ne serait-ce que pour rendre possibles et un tant soit peu efficaces des relations éducatives et pédagogiques plus ordinaires. Les psychothérapies classiques sont manifestement inadaptées ici. Sauf peut-être quand ne sont présents que les seuls « troubles de l’attention », il me semble nécessaire d’en passer ou d’en repasser par le corps. Des thérapies psychomo­trices adaptées sont la meilleure piste à explorer, mais aussi diverses activités à coloration plus ou moins thérapeutique comme la relaxation, la piscine, la danse(20), le cheval, etc. Du côté pédagogique, on peut trouver des pistes dans les pédagogies attachées à organiser l’expérience sensori-motrice. Certains aspects de la pédagogie Frei­net, mais plus encore l’éducation sensorielle et motrice rigoureuse et précoce prônée par Maria Montessori gagneraient à être fortement réactivés pour ce type d’enfants.

Quoi qu’il en soit, l’enracinement très précoce de ces troubles appelle patience et persévérance, aux antipodes de l’obsession actuelle de l’efficacité à court terme. Il ne saurait y avoir de miracle quand il s’agit de retisser dans l’après-coup une organisation psychique défaillante dans ses fondements. Les prises en charge ne sont pas forcément en elles-mêmes difficiles dès lors que l’on a compris la nature des problèmes en jeu. Mais faire comprendre et admettre la temporalité nécessaire aux familles, aux enseignants des classes ordinaires et aux responsables des systèmes éducatif et thérapeutique risque d’être ici une mission vraiment impossible.

Daniel Calin
Juin 2008

 
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Notes

(1) Initialement publié dans les Actes du XXe congrès de l’AFPS (Association Française des Psychologues Scolaires), Regards pluriels enfant singulier (Quelle place à l’école pour l’enfant de la modernité ?), Arcachon, les 4, 5 et 6 octobre 2007, publiés en Février 2008. Repris ensuite sur ce site ICI.

(2) Sylvie Canat, Vers une pédagogie institutionnelle adaptée (Les besoins particuliers des élèves en situation de difficultés scolaires), Champ social, Nîmes, 2007. Préfaces de Serge Boimare et Jacques Pain. Voir sur ce site une présentation des principes de cet ouvrage.

(3) Ils correspondant alors assez bien à la description donnée par le DSM-IV du trouble de déficit de l’attention / hyperactivité (TDAH).

(4) Très utilisée en milieu scolaire, la notion molle d’immaturité me semble presque toujours masquer des problématiques beaucoup plus inquiétantes, le plus souvent des processus de séparation et d’autonomisation très déficients, voire bloqués.

(5) Dont Piaget notait fort justement qu’il était un « narcissisme sans Narcisse ».

(6) Il aurait certainement été préférable d’utiliser l’expression « enfants chaotiques », plus descriptive, moins porteuse d’un causalisme univoque. Mais mon expression « enfants du chaos » a très vite fait florès et je me sens obligé de la « suivre ».

(7) Même s’ils reposent, évidemment, sur des bases biologiques, l’être humain se spécifiant par une large déconnexion de son être psychosocial par rapport à son être biologique. Voir Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, Le Seuil, Paris, 1973.

(8) Jean Piaget, La naissance de l’intelligence chez l’enfant, Col. Actualités pédagogiques et psychologiques, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel/Paris, 1936.

(9) Jean Piaget, La construction du réel chez l’enfant, Col. Actualités pédagogiques et psychologiques, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel/Paris, 1937.

(10) Maurice Berger, Les troubles du développement cognitif (Approche thérapeutique chez l’enfant et l’adolescent), Privat, Toulouse, 1992. Réédité par Dunod, Paris, 1996. Page 9.

(11) Voir aussi les observations de Brazelton.

(12) Mais aussi de formes légèrement ultérieures de dialogues corporels plus élaborés, en particulier jeux de mimiques, jeux de mains.

(13) Voir sur mon blog l’article La fonction d’apaisement.

(14) Voir chez Spitz la notion d’hospitalisme.

(15) Les imagiers pour les tout petits sont ici une aide technique précieuse !

(16) Les bébés sont certes capables d’une attention forte, mais seulement pour des expériences « marquantes », pas dans le cours ordinaire de la vie. Tout comme, d’ailleurs, les enfants dont on dit qu’ils manquent d’attention !

(17) Le versant « hyperactivité » renvoyant plutôt à un déficit en interactions émotionnelles précoces suffisamment structurantes.

(18) Antoine de La Garanderie, Le dialogue pédagogique avec l'élève, Le Centurion / Bayard, Paris, 1984.

(19) Sous la direction de Pierre Vermersch et Maryse Maurel, Pratique de l'entretien d'explicitation, Col. Pédagogies / Recherche, E.S.F., Paris, 1997.

(20) En particulier en couple ?


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