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Théorie de l’extensio et relation au temps

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

En termes d’extensio, nous dirons que la relation au temps relève, au même titre que la relation à l’espace, de l’élargissement du champ relationnel, principe général de la vie, et que, pour les mêmes raisons, elle est neuronale et passe par l’acquisition successive des quatre outils : les sens, les gestes, la parole et l’écrit, et par leur affinement.

Il est certain qu’une meilleure connaissance du passé permet de mieux comprendre le présent, et qu’une projection vers l’avenir concourt à la prise de décision. Ainsi, que ce soit au niveau collectif ou individuel, la conquête du temps augmente l’efficacité pour l’obtention durable des apports.

Chez l’individu, trois âges de la vie sont marqués par une relation préférentielle à l’un des trois moments temporels : le petit enfant vit dans le présent ; les jeunes gens se passionnent pour leur avenir ; et la personne âgée aurait tendance au passéisme.

Le nourrisson se situe d’abord dans l’immédiat. Une mémoire sensorielle s’installe cependant dès l’embryon. Puis, l’augmentation neuronale permet le développement des souvenirs. Mais l’on sait bien comme le jeune enfant a du mal à raconter sa journée. De même, la notion de lendemain reste longtemps abstraite.

Avec les années, la relation individuelle au temps s’élargit vers l’amont et l’aval. Toutefois, on observe une propension à se projeter vers l’avenir. Les contraintes économiques nous y obligent, de même que l’éducation et la prévention.

Dans notre culture, à l’âge de vingt ans, les jeunes sont encouragés à réfléchir à leur futur, plus rarement à leur passé. Cela pose problème car les difficultés de l’enfance, voire les traumatismes, ne sont pas analysés, le présent n’est pas compris, l’avenir devient hypothétique.

Cependant, l’adulte est amené peu à peu – d’autant que le nombre d’années derrière lui s’accroît – à augmenter sa relation au passé.

On peut penser qu’une période d’équilibre survient où le présent se mue en alchimie permettant d’orienter le mieux possible un passé finement étudié vers un avenir anticipé avec imagination et responsabilité. Cela confirme l’importance, pour chaque individu, de bien élaborer son continuum biographique. L’absence de rupture biographique crée les conditions favorables à une bonne extension temporelle qui consiste alors à augmenter simultanément la pensée du passé, l’intensité du présent, et l’intérêt de l’avenir.

Dans cette optique, le développement du tourisme depuis quelques décennies est aisément explicable. Il y a à la fois extension géographique du voyageur, mais aussi extension temporelle. Le voyage organisé ou improvisé, culturel ou sportif, plus ou moins lointain, est d’abord une projection dans l’avenir ; ensuite, un présent remarquable ; et enfin un souvenir valorisé par les photos et les vidéos.

À l’inverse, et à tout âge, on peut considérer qu’en cas de restrictions durables de l’extension temporelle dans le monde réel, l’être pourra avoir recours à toutes sortes d’imaginaires temporels : histoire personnelle inventée, présent dédoublé, mythification de l’avenir.

Chez la personne âgée, la réduction des perspectives de vie entraîne légitimement une accentuation du présent, ou, si le présent n’est pas agréable, un repli sur le passé. On constate un plus grand intérêt pour l’Histoire. La personne âgée peut s’apercevoir que le souvenir n’a pas été une priorité dans sa vie. Elle y trouve alors tout un univers exploratoire très favorable à sa santé. L’extension relationnelle devient flagrante lors de l’emploi de la narration orale ou écrite par les aînés.

L’extension de la relation au temps s’observe également au niveau collectif. Dans un pays dynamique, les écrits se multiplient aussi bien par la description du présent avec une préférence pour l’événementiel, par la commémoration du passé et l’étude de l’Histoire, et par l’exploration de l’avenir avec une tendance à l’inquiétude autant qu’à l’utopie.

L’extensio étant le principe de base de la vie, ses effets sont omniprésents. Les concurrences les plus âpres peuvent avoir des conséquences pathétiques. Comme chez l’individu, la prévision et la prévention relèvent d’un accroissement de la relation à l’avenir.

Il serait intéressant d’analyser si l’évolution a sélectionné des espèces animales ou végétales qui auraient acquis la capacité de modifier leurs comportements en fonction, par exemple, des paramètres de surpopulation. La propriété de dormance étonne : une graine tombée au sol ne germera que si un découvert végétal se produit.

Pour la collectivité humaine, on peut prévoir que l’extension de la relation au temps suit, comme chez l’individu, les étapes du développement : vision sur quelques années pour la famille et le village ; sur quelques décennies pour la collectivité et le pays ; sur un siècle ou plus pour l’individu et le monde.

Grâce aux progrès d’analyse et de communication par l’écriture et la parole, les humains s’aperçoivent qu’ils peuvent maintenant anticiper les phénomènes mondiaux et donc essayer de prendre des décisions pour réorienter les événements nocifs. À notre connaissance, la première grande décision mondiale efficace pour le long terme aura été, suite au protocole de Montréal en 1987, la suppression des CFC destructeurs de la couche d’ozone. On peut aussi évoquer le Traité de non-prolifération des armes nucléaires dont la signature fut ouverte à partir de 1968.

Si l’on considère les trois grandes inquiétudes planétaires actuelles, on s’aperçoit qu’elles résultent d’un extensio excessif ou dont l’accélération fait craindre des désastres. Il s’agit de la surpopulation, de l’épuisement des combustibles et de l’emballement de la finance.

La crainte d’une surpopulation est une conséquence évidente de l’extensio puisque la population mondiale a maintenant dépassé les sept milliards avec un accroissement d’un milliard en moins de trente années. L’augmentation du nombre d’habitants, mais aussi l’amélioration de l’obtention des apports, entraînent une surexploitation de la biosphère et sa modification.

Le résultat est a minima le risque de pénurie des combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) et minéraux (uranium) et le réchauffement climatique. La question du pétrole est inséparable des incessants conflits catastrophiques au Proche-Orient depuis la guerre Iran-Irak il y a 35 ans jusqu’à l’actuelle situation en Syrie et Irak.

Une autre inquiétude est l’emballement de la finance qui est lié à la généralisation mondiale des multinationales et au numérique. Les multinationales relèvent d’un extensio au-delà des nations comme nous l’avons vu dans un article précédent. L’ordinateur et Internet sont une nouvelle amélioration de la technique de l’écrit, si radicale qu’elle va peut-être permettre l’arrivée d’une cinquième étape du développement.

Cependant, en pleine jeunesse de sa prise conscience planétaire, l’humanité est-elle à l’heure actuelle capable d’élargir sa relation au temps vers l’avenir au point de se concerter intelli­gemment ? Soyons optimistes, on constate des avancées sur ce long chemin.

Eugène Michel
Décembre 2015

 
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Dernière révision : mercredi 02 décembre 2015 – 17:00:00
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