Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Indignés, presque parfaits... ?

 

 
Un texte de Jacky Poulain
ex-rééducateur de l’Education Nationale en RASED


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(À propos des articles de Franck Ramus(1) et de Philippe Meirieu(2) dans la page Rebonds de Libération du vendredi 9 décembre. L’un se présente comme directeur de recherche au CNRS et membre du Comité scientifique de la Fédération des Dys, l’autre est, entre autres, Professeur des Universités en Sciences de l’éducation à l’Université Lumière-Lyon2.)

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Le premier argumente longuement sur la nécessité de « repérer les enfants en difficulté dès la maternelle », le second s’évertue à dénoncer implacablement une « école transformée en machine à désintégrer ».

Indignés tous deux de l’état actuel de l’école en France pour des raisons très différentes, presque parfaits dans leur démonstration...

Franck Ramus prône une utilisation massive, décomplexée, des apports des neurosciences ; Philippe Meirieu en dénonce les effets pervers. Au fond, les argumentaires respectifs sont relativement connus pour qui s’intéresse un tant soit peu aux politiques éducatives : je renvoie à la lecture de ces deux contributions.

Franck Ramus milite pour un repérage précoce permettant « d’identifier les enfants qui, résistant à cette approche exclusivement pédagogique, devront bénéficier de bilans à visée diagnostique, et éventuellement de l’entrée dans un parcours de soins ». On ne peut être plus clair : l’échec scolaire avéré, la grande difficulté à l’école, c’est du domaine du médical, et ça se soigne !

« C’est ainsi que l’on rabat la notion de « difficulté » (nécessairement issue d’une combinaison de facteurs) sur la notion de « trouble » (évidemment physiologique) », lui rétorque à juste titre Philippe Meirieu, dénonçant « un modèle médical qui s’est durci, se repliant sur le couple « diagnostic/remède », au détriment de la prévention, de la prise en compte des environnements et du travail en partenariat ».

La prévention, la prise en compte des environnements, le travail en partenariat ? Précisément ce qui fonde en grande partie le travail des RASED (Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté), est-on tenté d’ajouter, en appui au sein des écoles auprès des équipes enseignantes, des parents, des partenaires médico-sociaux... et des enfants, à qui des aides spécifiques peuvent être proposées, après concertation, avec l’accord des parents, hors de la classe mais dans l’école et pendant le temps scolaire.

Voir – si l’occasion se présente, sa diffusion en est « militante » – le bon et beau film proposé par la FNAREN (Fédération Nationale des Associations de Rééducateurs de l’Education Nationale), réalisé par Pierre de Nicola, Un parmi les autres, exposant le travail au quotidien des RASED et des rééducateurs/trices en particulier, bien loin des fantasmes et/ou des caricatures habituellement véhiculés sur ce sujet.

Ce qui me trouble – et discrédite à mes yeux, dans une large mesure, le vibrant plaidoyer de Philippe Meirieu pour « une école qui unit » –, ce n’est pas tant ce que je lis dans ces deux textes que tout oppose, mais bien un silence commun, partagé, sur l’existence de ce dispositif d’aides spécialisées interne à l’école, le RASED, dispositif à l’agonie et dont l’avenir se joue actuellement, dans un contexte budgétaire générant de grandes craintes...

Or nos deux auteurs connaissent pertinemment l’existence des RASED, leurs missions spécifiques, la place très particulière qu’ils occupent dans l’école, les aides spécialisées qu’ils peuvent proposer, le travail de prévention et de remédiation accompli dès l’école maternelle.

Que Franck Ramus ne dise pas un mot des RASED est logique : les tenants des neurosciences ont toujours ignoré, méprisé le travail des RASED, non validé scientifiquement, soupçonnés d’une approche « psychologisante » de la difficulté scolaire.

Il est plus surprenant et décevant de ne lire aucune allusion – même sommaire – aux RASED sous la plume de Philippe Meirieu. Ses travaux, sa contribution permanente au débat pédagogique en font une figure reconnue, un acteur incontournable de la question scolaire en France. On était en droit d’attendre de sa part qu’il se saisisse de l’occasion et du contexte – article dans un quotidien national, préparation du budget 2012, préparation de la carte scolaire dans chaque académie – pour évoquer le devenir des RASED.

Ce silence est étrange et dérangeant ;  silence coupable, à mes yeux, à l’heure où une ènième mobilisation associe les associations professionnelles, les syndicats enseignants, les principaux mouvements pédagogiques et les fédérations de parents d’élèves afin de défendre et promouvoir l’existence des RASED, préserver au moins ce qu’il en reste.

Dédiée à la question de la difficulté scolaire, la page de Libération contribue – involontairement, probablement ! – au malaise ambiant, en centrant le débat autour de cette alternative entre les tenants d’une ouverture de l’école à la médicalisation, la pathologisation de l’échec scolaire, et les tenants d’une école recentrée sur elle-même, trouvant uniquement dans La Pédagogie ses propres ressources, ses propres réponses à la difficulté scolaire (les syndicats enseignants ne sont pas toujours insensibles aux sirènes du « pédagogisme », même s’ils défendent bon gré mal gré l’existence des RASED).

Or, avec les GAPP d’abord, les RASED ensuite, l’histoire de l’institution scolaire en France(3) montre qu’il existe des réponses alternatives au dilemme « tout pathologique » vs « tout pédagogique ». Malgré les attaques, les vicissitudes, ils ont fait la preuve de leur utilité. Le dernier rapport parlementaire en date préconise même leur maintien (cf. Xavier Breton et Gérard Gaudron, rapporteurs à l’Assemblée Nationale de la Commission des Affaires Culturelles et de l’Education sur le projet de loi de finances 2012,  évoquant « un scénario d’extinction (des RASED) qui ne serait pas acceptable »)(4).


Post-Scriptum

On rappellera ici à Franck Ramus que les enfants réellement « dys » – qu’il convient évidemment de prendre en compte ! – ne représentent qu’une infime minorité des enfants en difficulté à l’école. À partir de quoi il est scientifiquement incorrect d’extrapoler à l’échelle de l’école dans sa globalité, à moins d’avoir un préjugé idéologique portant à cette démarche : le lobbying des neurosciences a parfois la grâce du rouleau compresseur...

On redira – mais il le sait ! – à Philippe Meirieu que si la pédagogie peut beaucoup, elle ne peut et ne pourra jamais tout... Cf. ici le soutien réaffirmé des principaux mouvements pédagogiques français (AGSAS, GFEN, ICEM), leur participation au Collectif national RASED...

On sourira en se souvenant que « c ’est la marge qui tient la page » (Jean-Luc Godard, cité en exergue sur le site de Claudine Ourghanlian) : Les RASED, en marge de cette page dans Libération, comme ils sont en marge de l’école ?


Jacky Poulain
Le 10 décembre 2011

 
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(1) L’article de Franck Ramus, intitulé Repérer les enfants en difficulté dès la maternelle, une nécessité, n’est pas disponible en ligne.

(2) Lire sur le site de Libération, L’école transformée en machine à désintégrer.

(3) Lire sur ce site : Daniel Calin, Les RASED et le mouvement psychopédagogique.

(4) Lire sur le site de l’Assemblée Nationale, cet Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2012, largement centré sur la question des RASED.

 
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Dernière révision : samedi 01 mars 2014 – 18:40:00
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