Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Mon psychopathe

 

 
Un texte de Frédérique Mattéi
 


Frédérique Mattéi a été une de mes stagiaires, il y a bien longtemps maintenant. Personnalité affirmée, solide, toujours en recherche, longtemps active sur le Web, nous n’avons jamais cessé d’échanger quelques signes, de loin en loin. Elle m’a fait parvenir il y a quelques jours le courriel ci-dessous, légèrement modifié pour les besoins de la publication. À sa lecture, la première réflexion qui m’est venue, c’est «Même elle !». Je lui ai aussitôt demandé l’autorisation de le publier, ce qu'elle a aimablement accepté. Pour mettre en garde les enseignants, même chevronnés comme elle, par rapport à ces personnalités particulièrement troublantes, dangereuses, dont j’ai mis moi-même des années à accepter l’idée qu’elles existaient vraiment.

Prenez garde à ceux que Gilles Massardier nomme si justement les Chevaliers de Thanatos !

 
 

Bonjour Daniel,


Reprenant un poste cette rentrée en tant qu’Enseignante Ressources Difficultés de Comportement, je relis ou lis avec plaisir tes textes pour me remettre dans le bain.

Je viens d’enseigner 5 ans, dans un établissement ASE, le FLS auprès de Mineurs Isolés Etrangers allophones (MIE). J’ai passé des moments extraordinaires et adoré mon travail auprès de ces jeunes. Mais, l’année passée, ma classe a explosé. Elle était constituée d’élèves ayant tous des troubles. Pour faire vite :

En analysant les faits, je me suis aperçue que j’ai eu affaire à un jeune psychopathe, tel que tu le décris dans ton texte La classe qui nous échappe.

Malgré tout ce que j’essayais de mettre en place, j’avais sans arrêt le bazar et des histoires à régler, je n’arrivais pas à voir le déclencheur. J’étais dans l’impossibilité d’avoir un groupe soudé comme ça avait été possible les quatre années précédentes, et ce toujours malgré l’hétérogénéité liée aux origines, cultures, scolarisation antérieure ou pas, âges très différents.

Mon psychopathe : un jeune égyptien arrivé un an auparavant dans ma classe (2014-2015), très peu scolarisé antérieurement, mais très fin. Il avait été mandaté par sa famille, contre son gré. Il m’a signifié très rapidement qu’il ne désirait pas être en France. Au début de sa prise en charge, c’était un bébé. Il pleurait souvent. Je savais qu’au foyer ça ne se passait pas très bien au niveau du comportement, il m’en parlait et selon lui il était victime. Ce que je croyais. Je l’avais pris sous mon aile. En effet, en classe, cette année-là, il y avait des petites altercations, banales, que j’arrivais à juguler. Cela venait de lui ou d’autres, mais nous réglions vite le problème. Mudada a vite appris à parler français, à lire, écrire, était très fort en calcul mental, en logique. Il avait aussi le petit défaut d’être très imbu de sa personne. Je pensais que c’était certainement une réaction de prestance. Je le remettais souvent à sa place par rapport à ses camarades. Il le prenait bien.

Lors de « l’épisode Charlie hebdo », nous n’étions pas loin de Claye-Souilly, nous avons eu droit aux hélicoptères, sirènes, l’interdiction de rejoindre leur foyer pour certains (dont lui). Mudada m’a dit : « C’est ça la France ! Moi je veux rentrer en Egypte ». On a dû rassurer sans cesse, parler de nos valeurs républicaines aussi... qu’on allait les protéger. Mudada avait écrit sur l’ordinateur beaucoup de récits sur son périple en Méditerranée, puis en Italie.

En juin, comme il avait 14 ans, n’avait pas le niveau et était trop jeune pour passer en classe CAP, nous avons décidé qu’il ferait un an de plus avec moi. Ce qu’il a accepté. Cela s’était fait pour d’autres avec de très belles réussites, il était donc confiant (moi aussi !).

J’ai l’ai donc retrouvé en septembre (2015-2016). Pas dès la rentrée pour moi, car mon père était décédé fin août et j’avais dû retourner en Corse. À mon retour, j’ai trouvé un Mudada changé, s’opposant en permanence. La première semaine, alors que je lui demandais de se mettre au travail au lieu de jouer sur l’ordinateur, il me lança un avertissement : « si tu commences comme ça, Madame, on ne va pas s’entendre tous les deux ! ». Il me répétait sans cesse qu’il n’avait rien à faire dans ma classe. Son leitmotiv : « Tu ne m’apportes rien ». (Il avait décidé de me tutoyer entre temps, malgré mes remarques). Nous avons eu beau réitérer les rendez-vous avec le directeur et l’équipe pour recadrer, réexpliquer son projet, il se butait. Mais il venait en cours et travaillait un minimum, ou faisait semblant.

Ses éducateurs m’avaient dit que Mudada s’était mis à fumer, plus que des cigarettes, puis à voler, puis à dealer. Et surtout, dans ma classe, il s’était mis à titiller les autres sans que je m’en aperçoive. Je ne le soupçonnais même pas, car il arrivait calme dans ma classe. Il n’allait pas avec les autres professeurs, mais venait avec moi, même quand il ne devait pas...

Ma classe avec ses problématiques psy (plus la mienne) était difficile à gérer... Un jour, mon petit Afghan me tape sur l’épaule et me désigne Nevena, la jeune bulgare, qui ne travaillait que si j’étais assise à côté d’elle et me suivait partout dans la classe, en train de graver son nom au couteau sur sa chaise. Ma première réaction (stupide) a été un cri. Ce qui a surpris Nevena qui s’est mise à pleurer. J’ai essayé de la calmer, sans y parvenir. Ma classe était nickel, refaite à neuf... belle excuse ! Puis j’ai réalisé que j’avais surpris le regard de jubilation de Mudada, bien tranquille à sa place en face d’elle. C’était tout.

Cette histoire m’a travaillé toute la nuit, d’autant plus que j’avais fait pleurer Nevena, et je voulais comprendre le comment de cette situation. Le lendemain, je reçois Nevena un peu avant la sonnerie, et elle m’explique que Mudada, lui avait fait signe la veille et qu’aujourd’hui il prendrait sa place... Je l’ai rassurée qu’il n’en serait rien. J’avais compris que Nevena avait marqué sa chaise, laissé une trace pour dire qu’ici était sa place. Et là, ça a été le déclic, je n’ai plus lâché Mudada, car je savais désormais que, dès que j’avais le dos tourné, il s’en prenait à chacun, ayant trouvé sa faille. Donc, ouvertement, il a mis le bazar. Ça a été l’escalade. Comme il n’arrivait plus à ses fins et qu’il prétextait vouloir changer de classe car je ne lui apportais rien, il a commencé à s’opposer frontalement, parler en classe, venir et refuser le travail, répéter sans arrêt : « Tu ne m’apportes rien ». Il me disait : « J’m’en fous de ta loi française ». En cours, il s’est levé et est allé ouvertement racketter les autres. Je me suis interposée entre lui et Oumar, le pakistanais, car il voulait de l’argent et un téléphone. D’abord, j’ai signifié que ça n’avait pas lieu d’être en classe. Ça a été l’escalade, refus de sortir et surtout il s’est levé, menaçant, vers son camarade. Je me suis interposée, je savais que j’allais m’en prendre une. Ce qui n’a pas raté. Il m’a violemment balancée par terre. Je suis allée porter plainte et j’ai continué le travail une semaine. Il a été viré de cours mais pas de l’établissement où il continuait de rôder et d’importuner tout le monde. Tout ça s’est passé pendant « l’épisode du Bataclan ». Il est allé jusqu’à refuser de faire la minute de silence et s’en aller en se faisant remarquer, alors que tout l’établissement était rassemblé dans la cour. Puis j’ai eu des vertiges et des nausées en cours et j’ai fini aux urgences où j’ai passé un tas d’examens. Je n’avais aucun autre symptôme. C’était un « burn out », selon le psy. J’ai été arrêtée 6 mois. Le premier arrêt maladie de ma vie !

À mon retour, j’ai appris que Mudada avait mal fini : on a découvert une arme à feu dans sa chambre, dans l’établissement où j’enseignais. Puis la police a recoupé plusieurs plaintes de vol à main armée, a analysé plusieurs vidéos, plusieurs procès-verbaux sur lesquels il apparaissait sous diverses fausses identités. Il paraîtrait qu’il aurait été incarcéré, puis retour au pays...

Je me suis bien faite avoir, après 30 ans en SEGPA, RASED, classe relais et établissement ASE. Le pire, c’est que je continue à ne pas en vouloir à Mudada... Au fond de moi, je le trouve toujours attachant, alors qu’il s’est montré détestable.

À Bientôt

Frédérique

Frédérique Mattéi
Septembre 2016

 
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Dernière révision : mardi 15 novembre 2016 – 17:40:00
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