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Quelle place pour les psychopédagogues dans un service de soins ?

 

 
Un texte de Daniel Calin


Origine du texte  Ce texte a servi de base à un conférence donnée dans le cadre du colloque intitulé Le CMPP : un singulier pluriel, organisé par l’association des CMPP et CAMSP 93, à Bobigny, le 19 décembre 2007.
Autre article de Daniel Calin  Sur la psychopédagogie, lire aussi sur ce site l’article de fond de Daniel Calin, Les RASED et le mouvement psychopédagogique.

 

Résumé : La question de la place des pédagogues dans les services de soins ne se pose pas que dans les CMPP, mais aussi dans tous les établissements médico-éducatifs, dans les hôpitaux de jour et finalement dans les hôpitaux généraux : on ne peut longtemps soigner un enfant en perdant de vue ses besoins éducatifs.

Les CMPP ne reçoivent les enfants qu’en ambulatoire et les pédagogues présents y sont tous des psycho­pédagogues, ce qui définit une place très particulière du pédagogique dans ces centres, inscrite dans leur appellation elle-même. Le médico-psychologique y croise le psycho-pédagogique, autour d’enfants en souffrance qui ne cessent cependant pas d’être des élèves, ailleurs, des élèves souvent en grande difficulté, conduits, vaille que vaille, par leur famille de la porte de l’école à la porte du centre de soins. C’est la place des psychopédagogues dans ce pas de quatre, avec les thérapeutes, les enfants et les familles, dont nous tenterons de démêler les fils et d’esquisser la fonction, ou les fonctions.
 

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Introduction

S’interroger aujourd’hui sur la place de la psychopédagogie, fût-ce dans un centre de soins, appelle d’abord une mise en perspective de ce concept. La psychopédagogie est le terme extrême d’une série conceptuelle qui désigne les différentes approches des pratiques scolaires et qui va de l’enseignement à la didactique puis à la pédagogie. La notion d’enseignement définit les pratiques scolaires exclusivement du point de vue des contenus programma­tiques des différentes disciplines, dont les enseignants sont détenteurs et qu’ils pensent le plus souvent avoir pour mission de déverser dans les esprits des élèves. La notion de didactique repose sur une mise à distance de la seule programmation des enseignements et met en évidence les nécessités d’une organisation métho­dique et hiérarchique des savoirs pour assurer leur bonne transmission. La didactique est l’art propre de l’enseignant, qui dépasse et complète la seule possession des savoirs à trans­mettre. La notion de pédagogie, en rupture avec les deux premières, fait basculer les pratiques scolaires d’une centration sur les savoirs vers une centration sur l’élève. Les apprentissages scolaires y sont définis comme dépendant centralement des activités des élèves, les enseignants ayant pour mission de les stimuler, de les faciliter et de les guider, non de les organiser de part en part. Nous définirons la notion de psychopédagogie comme une conséquence et un prolongement du recentrage des pratiques scolaires sur l’élève opéré par la pensée pédagogique. Il s’agit cette fois de prendre en compte la personnalité de l’enfant dans son rapport aux activités scolaires, en s’intéressant en particulier aux conditions psychologiques d’un investissement suffisant et efficace de ces activités. Alors que l’activité pédagogique accom­pagne les apprentissages scolaires, l’activité psychopédagogique vise à assurer les conditions psychiques de possibilité de ces apprentissages, qui sont dès lors plus son horizon que sa matière même.

Deux remarques préalables encore. La place de la psychopédagogie est pour le moins mal assurée en France. Il n’existe dans notre pays, contrai­rement aux autres pays francophones, aucune formation qui se réfère explicitement à la psychopédagogie(1), ni aucune chaire univer­sitaire de ce nom. Même la pédagogie n’existe pas en tant que telle, mais seulement noyée dans les très brumeuses « sciences de l’éducation ». Depuis deux ou trois décennies, le mouvement de rejet de tout ce qui évoque de près ou de loin la prise en compte de la dimension psychologique des apprentissages scolaires n’a cessé de flamber. Une idéologie anti-pédagogique virulente tient plus que jamais le haut du pavé... et les oreilles ministérielles. En 1989, déjà, les nouveaux centres de formation communs aux enseignants du primaire et du secondaire avaient été nommés dans les premiers projets « Instituts Universitaires de Pédagogie ». Face à la levée de boucliers de tous les ultra-conservateurs du monde enseignant, Jospin s’est rabattu sur le vocable neutralisé d’IUFM, ce que l’on pouvait immédiatement interpréter comme l’abandon de l’essence même de cette réforme, à savoir, précisément, un recentrage du système éducatif sur les réalités diverses des élèves.

Un paradoxe

La place d’un pédagogue, fût-il psychopédagogue, dans un centre de soins ne va pas de soi. Surtout dans un centre de soins ambulatoires, où viennent quasi exclusivement des enfants ou des adolescents qui fréquentent au quotidien des établissements scolaires. On pourrait même souhaiter, pour ces élèves presque toujours en souffrance dans cette quotidienneté du scolaire, que les centres de soins ambulatoires leur offrent un havre où enfin se mettre à l’abri du monde scolaire, oublier le malmenage qu’ils y subissent pour au moins quelques fractions d’heure par semaine, reprendre leur souffle dans un univers autre, plus accueillant, mieux “soignant”.

Par quelle perversion, finalement, a-t-on pu avoir cette étrange idée d’introduire des loups pédagogues jusqu’au cœur de ces refuges voués aux soins psychiques ? Un peu comme ces représentants bornés des autorités aca­démiques qui voudraient voir les rééducateurs des écoles n’intervenir auprès des élèves qu’au sein de leur classe, dans le lieu même de leur déréliction...

Cette place des psychopédagogues dans un centre de soins ne va tellement pas de soi que, dans certains cas, effectivement, elle est à proscrire, au moins dans un premier temps. D’ailleurs, dans bon nombre d’établisse­ments médico-psycho-pédagogiques, malgré leur dénomination, il n’y a jamais eu ou il n’y a plus de pédagogues. Il y a donc quelque paradoxe à renvoyer immédiatement au scolaire, même “psychologisé”, un enfant en souffrance actuelle aiguë dans son rapport au scolaire, par exemple un enfant souffrant de ce qu’il convenu d’appeler ces temps-ci une “phobie scolaire”.

Historique

Et pourtant.

Pourtant, l’idée même de psychopédagogie préside à l’ouverture de la première institution du type CMPP, le Centre Psycho-Pédagogique Claude Bernard, à Paris, en 1946, à l’initiative du psychanalyste Georges Mauco. Les métiers de psychopédagogue et de psychomotricien s’éla­borent dans ces structures, avant de s’implanter ensuite, tant bien que mal, dans l’Éducation Nationale. En 1955, un rapport du Haut Comité de la Population et de la Famille, dirigé par Georges Mauco, préconise la formation et l’élaboration d’un statut des psychologues et des psychopédagogues par les ministères de l’Éducation nationale et de la Santé publique. L’Éducation nationale ouvrira les premières formations de RPP en 1960, de RPM en 1964. Ces professions seront vraiment instituées dans l’Éducation nationale par la fondation des GAPP en 1970, qui systématise les expériences antérieures. On connaît la suite, comme on connaît la remise en cause actuelle de toute cette histoire.

C’est donc du côté du soin qu’est née la “demande” de psychopédagogie, et non du côté de l’enseignement, exactement comme les classes de perfectionnement avaient été inventées en 1909 sous la pression de demandes extérieures à l’enseignement primaire, en particulier, déjà, celle de Bourneville, pédopsychiatre avant la lettre, créateur de la première institution médico-éducative dans les murs de l’hospice pour aliénés de Bicêtre, la « section pour enfants arriérés », en 1892.

Pour comprendre ce mouvement, on peut se référer à un ouvrage de Georges Mauco, L’évolution de la psychopédagogie (L’action de centres psychopédagogiques scolaires – Pour une mutation psychanalytique de la pédagogie)(2). L’idée de psychopédagogie est donc née de la conscience aiguë de ce que représentent l’éducation et la scolarisation d’un enfant, de leurs enjeux développementaux, de leur nature fondamentalement psychique. Elle ne s’adresse aux enfants dits alors “inadaptés” que par défaut, en première urgence, en quelque sorte. « Pour une mutation psychanalytique de la péda­gogie », écrit Mauco : il s’agit bien d’ouvrir la voie à une réforme en profondeur du regard sur les enfants à l’école.

On voit les dangers qui guettent une telle entreprise : une menace de dissolution de la pédagogie dans le soin et, corrélativement, une pathologi­sation générale de toute difficulté scolaire. À vrai dire, concernant ce second danger, Mauco propose plutôt un regard inverse, une normalisation générale de la difficulté scolaire, une reconnaissance du droit de l’enfant à la difficulté scolaire, de la normalité fondamentale de phases difficiles dans le développement de l’enfant en général et dans son appropriation des savoirs scolaires en particulier. Toute cette époque, du côté psychanalytique comme du côté des psychologues de l’intelligence, Piaget en tête, est dominée par une vision complexe du développement de l’enfant, comme processus articulant des phases successives d’organisation, de désorganisation et de réorgani­sation. On est donc très loin des simplismes affligeants sur lesquels repose le mouvement actuel de pathologisation neurologique ou génétique de toutes les difficultés scolaires, voire de toutes les difficultés d’enfance.

Une psychopédagogie “de première approche”

C’est cette normalisation psychologique de la difficulté à l’école qui assure une première place possible à la psychopédagogie. Et, précisément, une place en première approche. La grande majorité des enfants qui arrivent en consultation dans les CMPP viennent là sur les conseils des écoles, pour des difficultés observées en milieu scolaire, qu’ils s’agissent de difficultés d’appren­tissage ou de difficultés relationnelles.

Il existe certes des RASED(3) dans les écoles, dont on peut considérer qu’ils ont, globalement, une fonction psychopédagogique. Mais leurs moyens sont souvent notoirement insuffisants, leurs actions sont réglementairement focalisées sur les enfants de cycle 2, ils sont de plus en plus souvent incomplets, amputés en particulier des « maîtres chargés d’aides rééduca­tives », dont l’action est la plus orientée vers la psychopédagogie. Et, dans l’enseignement secondaire, il n’existe aucun personnel de ce type, alors même que leur pré­sence dans les collèges répondrait à un besoin particuliè­rement brûlant.

C’est pourquoi, pour une partie des enfants ou des adolescents qui consultent en CMPP, il apparaît, au moins en première approche, que les difficultés renvoyées par l’école restent dans les limites de cette normalité. Il est dès lors logique de les renvoyer d’abord vers les psycho­péda­gogues, qui vont soit, en “observation”, explorer plus avant la relation de ces enfants avec les objets scolaires, soit, en “prise en charge”, aider ces enfants à retisser des liens distendus mais non rompus de ces enfants avec les objets scolaires.

Une psychopédagogie du retour au scolaire

On rencontre aussi des enfants plus troublés pour lesquels des prises en charge médico-psychologiques s’avèrent indispensables dès l’abord. Ce sont eux pour lesquels les CMPP jouent le rôle de refuge évoqué plus haut. Parfois, d’ailleurs, ils nécessiteront une orientation vers des soins plus lourds que les soins ambulatoires du CMPP.

Les psychothérapies pratiquées en CMPP sont généralement d’inspira­tion psychanalytique : nous l’avons vu, ce sont des praticiens de l’analyse qui ont présidé à la fondation de ces établissements. Les thérapies analytiques pro­cèdent par ce que l’on pourrait définir comme une plongée accompagnée de l’enfant dans sa propre subjectivité. Nécessairement, ce retour sur soi privilégie un retour sur son passé propre, dans ce qu’il a de plus intime. On est évidemment là aux antipodes des pratiques scolaires, qui ont pour fonction d’initier l’enfant à la culture commune, afin de le préparer à son insertion sociale future. La pédagogie, pour l’essentiel, tourne l’enfant vers l’autre et vers l’avenir. Quand un enfant reçoit des soins psychiques pour des difficultés révélées par sa scolarisation, il se trouve et on se trouve avec lui dans un grand écart entre repli sur soi et mouvement vers l’autre, ainsi qu’entre regard vers le passé et projection vers le futur.

Rien ne garantit que le détour psychothérapeutique suffise à lui seul à dénouer ce qui entravait l’enfant dans sa scolarisation, même si cela arrive parfois. Souvent, il faudra aussi, en parallèle aux soins psychiques ou après les soins psychiques, travailler à retisser le lien au scolaire, dans un cadre encore suffisamment préoccupé par l’intériorité de l’enfant pour accom­pagner directe­ment ce réinvestissement des objets scolaires. Un psycho­thérapeute, en principe, vise à rétablir un bien-être psychique suffisant. Un psychopédagogue vise, lui, à aider l’enfant à remettre ses habits d’élève, ou à les accepter enfin. Et cette acceptation de “l’être élève” n’est certainement pas un conséquence naturelle du bien-être intérieur : même pour les enfants les plus épanouis, l’école suppose un effort sur soi, voire représente une corvée ! Un élève qui ne se réjouit pas de l’absence du maître est un bien étrange enfant...

Psychopédagogie et famille

On le voit, la psychopédagogie joue, dans les centres de soins, un rôle d’interface entre les contraintes et les exigences du milieu scolaire et les logiques très différentes du soin psychique. Rôle charnière, rôle passerelle, aux contours nécessairement flous.

Ce rôle “interne”, dans le travail avec les enfants, se double aussi d’un rôle “externe”, dans les relations avec les familles. On sait à quel point la reconnaissance des difficultés psychiques de leurs enfants par les familles est une affaire délicate, sensible, pour des raisons bien compré­hensibles. Les modes idéologiques actuelles renforcent malheureusement ces “défenses” des familles, dont les “demandes” se tournent de plus en plus prioritairement, à tort et à travers, vers des “soins” instrumentaux, orthophonie en parti­cu­lier(4). La présence des psychopédagogues, présentés comme d’abord ensei­gnants, peut contribuer à rassurer les familles, à éviter des recours abusifs à des “soins” instrumentaux inadéquats, à engager un travail déjà psychique autour des relations à l’univers scolaire. Psychopédagogie d’attente, peut-être. Mais on peut supposer qu’un psychopédagogue qui s’est déjà fait reconnaître par l’enfant comme par sa famille sera bien placé pour proposer un engagement vers des soins proprement psychothérapeutiques, lorsqu’ils s’avéreront nécessaires...

Enfin, dans les faits, la place de la psychopédagogie est fortement influencée par les réalités des pratiques scolaires en vigueur. Une pédagogie qui aurait opéré sa “mutation psychanalytique” satisferait dans l’ordinaire de l’école l’essentiel des “besoins psychopédagogiques” des élèves, comme le montrent, par exemple, les trop rares maîtres dont les pratiques s’inspirent de Freinet ou de la pédagogie institutionnelle. Inversement, la vogue actuelle du néocomportementalisme et l’obsession envahissante de l’évaluation ne peuvent que faire exploser les “besoins psycho­péda­gogiques” de tous les malheureux enfants un tant soit peu réfractaires à une machinerie scolaire redevenue plus normalisatrice que jamais.

Daniel Calin
Septembre 2008

 
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Cadre réglementaire

Les CMPP sont régis par l’annexe XXXII ajoutée par le décret n° 63-146 du 18 février 1963 au décret n° 56-284 du 9 mars 1956. Deux de ses articles fondent la place de la psychopédagogie dans les CMPP :

Article 14

Lorsque le centre dispense une rééducation pédagogique spécialisée, individuelle ou collective, il doit s’assurer le concours de pédagogues ou d’éducateurs possédant la qualification requise et justifiant d’une connaissance particulière des déficiences dont les enfants reçus au centre sont atteints.

Article 15

La coordination des activités psychologiques et pédagogiques peut être confiée à un des membres de l’équipe qui devra justifier d’une formation appropriée en psychologie et en pédagogie.

 
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Notes

(1) Plus exactement, il n’en existe plus depuis 1988, quand les anciennes formations spécifiques de rééducateur en psychopédagogie (RPP) ont été noyées dans la formation des maîtres « G », filandreusement définis comme « chargés des aides spécialisées à dominante rééducative ».

(2) Privat, 1975. Georges Mauco a aussi publié, entre autres, Psychanalyse et éducation, Aubier-Montaigne, 1967.

(3) L’existence des RASED est fortement menacée depuis la réforme des programmes et des horaires de l’école imposée en septembre 2008. Le cache-sexe populiste de cette réforme destructrice est la généralisation de l’aide aux élèves en difficulté sous la forme de “soutien scolaire” assuré par les enseignants ordinaires en dehors et ne plus des heures de classe. Vouée à l’échec avec les élèves en difficulté scolaire un tant soit peu sérieuse, cette réforme est la négation même de l’idée de psychopédagogie. Voir à ce sujet l’article de Laurent Lescouarch, Le soutien : nouvelle panacée au service du démantèlement des aides spécialisées.

(4) Les pratiques orthophoniques sont en réalité fort variables. Certaines sont bien plus proches de pratiques psychopédagogiques, voire psychothérapeutiques, que de la vulgate neurocomportementaliste imposée désormais dans les centres de formation. Voir en particulier ceux qui sont regroupés dans la Fédération des orthophonistes de France (FOF).


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